Numéro |
psychologie clinique
Numéro 56, 2023
Cliniciens aujourd’hui : perspectives internationales
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Page(s) | 226 - 227 | |
Section | Hommage | |
DOI | https://doi.org/10.1051/psyc/202356226 | |
Publié en ligne | 20 décembre 2023 |
Marc Augé (1935-2023)
Récemment disparu, Marc Augé est l’un des plus éminents anthropologues du second xxe siècle à l’heure des ethnographies tous azimuts du particulier parfois anecdotique. Il faut entendre par là qu’il se penchait sur les phénomènes généraux, universels peut être, à travers une quête du sens des gens, des situations, qui prenaient sous sa plume une dimension non spécifique, non locale, non datée. Augé se penchait sur l’homme au monde, l’homme dans le monde, le monde de l’homme, entendu ici comme espèce non genrée, désormais immergé dans la biodiversité. C’est une démarche classique, voire anachronique, servie par une prose élégante développée dans de très nombreux ouvrages pour la plupart appréciés par un public cultivé de non anthropologues. Président de l’EHESS durant dix ans dans les années 80 il exerça un pouvoir académique bienveillant et éclairé à l’heure d’une apogée des sciences sociales (et de l’EHESS)précédant leur déclin contemporain quand la société devient marché.
Héritier de l’africanisme de Georges Balandier, Marc Augé ne se voyait pas en gardien de temple mais bien plutôt en explorateur du sens comme notion philosophique. De sa « Théorie des pouvoirs et idéologie »(1975)au « Génie du paganisme »(1982) Augé développe et exploite les résultats de ses terrains africains portant sur les pro- phétismes, la sorcellerie dans des sociétés lignagères en articulant les pouvoirs à travers les logiques des représentations (idéo-logiques). L’ouvrage « Pouvoirs de vie, pouvoirs de mort .Introduction à l’anthropologie de la répression »(1977)s’inscrit dans l’affirmation de logiques communes (ou similaires)à l’œuvre dans les sociétés dites traditionnelles autant que dans celles qualifiées de modernes. Nous voilà, aux antipodes du culturalisme, du relativisme culturel antérieur, au cœur d’une ambition manifestement anthropologique. Dans « Le dieu objet » (1988)qui traite des fétiches Marc Augé confirme son inscription dans le champ du religieux tout en débordant largement celui-ci. Car la fréquentation de prophètes africains, tel Albert Atcho, montre le rôle de médiateurs centraux de ces figures prophétiques en charge de recoller les morceaux de sens épars produits par les changements économiques, politiques, sociaux qui fragilisent les règles et les pouvoirs anciens, déstabilisent les sociétés villageoises, font éclater les accusations sorcières, les jalousies, la maladie, le mal du malheur.
C’est ainsi que se développe dans les années 80 l’anthropologie de la maladie dont Augé fut, en France, le principal animateur avec de nombreuses thèses et travaux sur des approches nosologiques de « la maladie chez les… », celle-ci étant appréhendée comme un phénomène social avec des effets biologiques suivant une logique psychosomatique. Cette conception persécutive de la maladie est au cœur de cette anthropologie de la maladie qui durant une bonne décennie occupera une place importante avant de s’effacer par effet de répétition et suite à la prégnance croissante de la santé comme norme. Son apport demeure néanmoins déterminant dans la mesure ou elle met fin au dualisme primaire entre médecine dite moderne et médecines dites traditionnelles car de communes logiques s’observent. À cette époque sont mis en avant par l’OMS les soins de santé primaires qui font l’apologie des tradipraticiens invités dans les systèmes de soins.
Le malade de l’anthropologie médicale n’est pas seulement un corps souffrant. C’est un sujet social (Le sens du mal, 1983). La maladie est un événement, l’occurrence d’une infortune dont on interroge la ou les causes. Pourquoi moi, pourquoi maintenant ?. Ces questions nourrissent les processus d’accusation qui fondent la sorcellerie comme système. L’interprétation des causes de la maladie devient celle des causes du mal et le pouvoir du thérapeute s’impose comme le pouvoir du prophète qui a pour mission de rétablir les liens sociaux rompus, de calmer le désordre social qui risque de s’installer. La maladie résulte d’un désordre social qui l’engendre et l’entretient. Les politiques le savent bien qui n’ignorent pas qu’une épidémie non maitrisée les délégitime et les condamne sous tous les cieux. La maladie est bien aussi un mal social qui appelle des thérapies socioreligieuses dont les prophétismes sont une parfaite illustration.
À partir des années 90 Marc Augé va entreprendre une exploration sans frontières dans des lieux ou « non-lieux « du monde global, à la recherche du temps et de l’espace brutalement éclatés par l’irruption du marché comme totalité. Déambulant au Luxembourg ou dans le métro, Marc Augé trouve la liberté de l’écrivain philosophe qu’il est : libre de son objet et de son discours. Il se fait plaisir et livre du sens à ses nombreux lecteurs. Point de fiction, ni de roman (sauf un) mais la quête tenace du sens des situations, des conjonctures observées, des mutations du sujet humain confronté à l’espace qui fuit comme au temps qui passe. Paniqués par l’explosion de l’espace et du temps, la perte de la distance et le présent permanent, les lecteurs de Marc Augé ont un peu trouvé dans ses multiples ouvrages des réponses à leurs inquiétudes Celui-ci leur a apporté du sens comme un bon thérapeute, voire un prophète. Merci donc.
Bernard Hours,
AnthroPologue, Cessma
(Centre d’études en Sciences Sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques)
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