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Accueil Tous les numéros Numéro 57 (2024) psychologie clinique, 57 (2024) 210-213 Full HTML
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Numéro
psychologie clinique
Numéro 57, 2024
Pratiques actuelles de la psychanalyse
Page(s) 210 - 213
Section Hommage
DOI https://doi.org/10.1051/psyc/202457210
Publié en ligne 4 octobre 2024

Louis a une trajectoire atypique : après des études de droit et de sociologie, il a travaillé dans une administration à Casablanca (1955-1957), puis dans une compagnie d’assurances (1959-1961) à Paris. Il a contribué ensuite avec Jean-Paul Trystram à un dictionnaire des sciences sociales projeté par l’UNESCO (1962-1963). En 1963, il entre au Laboratoire d’ethnologie sociale qui devient le Laboratoire d’anthropologie sociale et de psychosociologie. En 1966, il intègre le Centre de sociologie européenne et y fait, sous la direction de Jacques Lautman, une enquête au ministère de l’Industrie sur les rapports entre l’administration et le patronat, puis une enquête sur les architectes. En 1968, aidé par Jacques Lautman, il est recruté comme assistant en sociologie à l’université de Caen, sous la direction de Claude Lefort sur lequel il écrira un ouvrage. Il devient maître-assistant en 1971, puis maître de conférences en 1984, enfin professeur en 1989. Louis avait soutenu une thèse de 3e cycle en 1969 sur « La représentation sociale du paternalisme politique » puis un doctorat d’État en 1978, sous la direction de Louis Vincent Thomas, sur « La légitimation du pouvoir dans le système politique français ».

Louis pose sa candidature au bureau de l’Association française des anthropologues en 1999, année de sa retraite d’enseignant. Son premier article dans le Journal des anthropologues concerne l’alimentation des sans-abri, population sur laquelle il entreprendra nombre d’études postérieures avec un regard qu’il veut anthropologique. À l’AFA, il a été un membre extrêmement actif, participant à quasiment toutes les réunions et séminaires, en dépit de son âge avancé et de ses problèmes de mobilité. Il était toujours disponible pour évaluer des articles et prendre part aux différentes tâches et activités de l’association. Il a immédiatement trouvé sa place dans un groupe qui intègre chaque année de nouveaux membres et comprend toutes les générations. Bien qu’il en soit le doyen, sa place n’était pas liée à ce statut et le dépassait largement : elle marquait une présence singulière, orientée vers l’autre et vers le collectif. À l’annonce de son décès, les messages d’affection, d’amitié, ont afflué, soulignant son dynamisme permanent, sa vivacité d’esprit, sa générosité et enfin le manque immense que va créer son absence. Louis était en effet un homme profondément bon, qui ne cessait d’encourager et de soutenir ceux et celles dont il percevait qu’ils ou elles étaient dans un moment de faiblesse ou de désarroi. Il avait cette qualité rare de ne jamais se camper sur une position de défense, mais au contraire et en toutes circonstances, de rappeler les aléas de la vie, les fractures de son propre parcours. Ainsi redonnait-il de la force à son interlocuteur.trice en un instant magique. Je donnerai de ce souci fondamental de l’autre et de ses capacités inaltérables de mobilisation, un exemple plus personnel parmi de multiples autres : quand il apprit la mort de mon père, il prit l’initiative d’aller voir régulièrement ma mère pour soulager sa solitude et l’entretenir des multiples projets d’écriture qu’il avait sous le coude.

Outre l’AFA, il était très actif dans d’autres revues et associations : le MAUSS (Mouvement antiutilitariste dans les sciences sociales) ; le CIPA (Collège international de psychanalyse et d’anthropologie) ; L’Homme et la Société ; le comité scientifique d’Aurore. Cette association de travail social était dirigée à l’époque par Éric Pliez (aujourd’hui maire du XXearrondissement) qui avait pris cette initiative originale. Se réunissaient dans ce cadre, avec Louis, Olivier Douville, Wenjing Guo, moi-même, des travailleurs sociaux, des bénévoles, des personnes ayant vécu à la rue et des étudiants de master qui avaient choisi les sans-abri pour terrain d’enquête. Wenjing Guo souligne combien Louis s’était engagé intellectuellement, humainement, politiquement dans cet espace unique où les personnes sans-abri présentes restaient au cœur des débats (leurs discours, ressentis, vécus, expériences, contradictions). Leur subjectivité est alors considérée comme une clef de compréhension de la situation sociale et politique, permettant de redonner du sens et des pistes d’action aux services sociaux. Et une légitimité. La légitimité de toute personne à la marge de la société était pour Louis centrale. Il était fasciné par les expériences et les vécus relatés par les membres de ce collectif et formulait des analyses théoriques ou/et politiques en phrases à la fois pertinentes, faciles à comprendre, concrètes, enthousiastes ou indignées.

Auteur prolifique et sociologue hétérodoxe, il est attiré par l’anthropologie. Louis, extrêmement marqué par la pandémie de Covid et les confinements qui l’ont coupé des relations personnelles qui lui sont essentielles, a participé avec des contributions particulièrement pertinentes aux deux ouvrages de l’AFA : Anthropologie d’une pandémie (2020) et Devenir en régime pandémique (2022). Avec Judith Hayem et Wenjing Guo. Dans la foulée, il coordonne en 2022 Après les confinements quels comptes pour les laissés pour compte, numéro spécial de L’homme et la société (217/2). Wenjing Guo rappelle que, en écho avec ses travaux sur l’alimentation des sans-abri, Louis avait focalisé la réflexion sur leur situation pendant et après les confinements : comment survivaient-ils et vivaient-ils le confinement alors que presque tous les liens sociaux étaient bouleversés et coupés ? Cette mise en rupture le préoccupait. À travers ce numéro spécial de la revue, les trois coordinateurs voulaient rendre compte des effets du confinement sur les personnes et leur précarisation. Louis cherchait non seulement à comprendre la situation et la réalité quotidienne des populations vulnérables (qui le mettaient hors de lui) mais aussi à les améliorer : très inquiet pour ceux et celles qui restaient à la rue en bas de son immeuble, il avait sollicité des travailleurs sociaux qu’il connaissait pour s’enquérir de ce qui était prévu et fait pour ces « marginaux laissés-pour-compte » : protection contre le froid, alimentation, hébergement, soin et éducation des enfants et des bébés, etc.

Louis a écrit d’une plume alerte une dizaine des romans qui retracent de façon quasi ethnographique les paysages étriqués d’une petite bourgeoisie provinciale et de ses nobliaux dont les personnages sont méthodiquement présentés au début de chaque livre. Il détestait ce milieu dont il provenait et qu’il avait fui. Tous ces livres portent un titre comportant l’espoir numéroté avec des astérisques. Lecteurs et lectrices y chercheront et y trouveront sans aucun doute des éléments autobiographiques de sa vie d’avant…

Sur son site, on découvre ce beau message concernant ses écrits : « Ce sont des figures d’espoirs qu’il (lui) tente et tentera d’offrir à ses ami.e.s et à tous ceux et celles qui lui feront le plaisir de le lire et de le critiquer. Ces figures d’espoir ne visent pas un degré de scientificité en sciences humaines mais seulement à aider à vivre d’autres que leur auteur et leur auteur lui-même. » La vie et ses accidents n’avaient pas épargné Louis qui avait dû traverser maintes épreuves douloureuses et qui était ressorti de ces épisodes tragiques avec une humanité profonde, inébranlable, lumineuse jusqu’au dernier moment. Un vrai homme du xxe siècle ajoute Bernard Hours.

Monique Selim, 25 janvier 2024

Bibliographie (ouvrages) établie par Nicole Beaurain

  1. Les apatriés. Pieds-noirs, harkis, Algériens : subjectivités éprouvées et statuts politiques escamotés, en collaboration avec Saverio Tomasella, Paris, L’Harmattan, Collection « Santé, sociétés et cultures », 2022. [Google Scholar]
  2. L’incorporel féminin. Les deux corps de la femme, en collaboration avec Serge G. Raymond, Préambule de Marie-Laure Dimon, Paris, L’Harmattan, Collection « Psychanalyse et civilisation », 2022. [Google Scholar]
  3. Terrains et idéologies. Théorie et pratique, Paris, L’Harmattan, Collection « Anthropologie critique », 2021. [Google Scholar]
  4. Le sensible et le barbare. Figures de l’homme planétaire. Psychanalyse et Anthropologie critique, avec Marie-Laure Dimon et Christine Gioja Brunerie, Paris, L’Harmattan, Collection « Psychanalyse et civilisations », 2021. [Google Scholar]
  5. Épistémologie des sciences sociales. Pratique et théorie, L’Harmattan, Collection « Anthropologie critique », 2020. [Google Scholar]
  6. D’un sens l’autre. Le sacré-profane et l’entre-nous, L’Harmattan, Collection : « Psychanalyse et civilisations », 2019. [Google Scholar]
  7. Vivre sans le capitalisme ? Inconscient et politique, Paris, L’Harmattan, collection « Psychanalyse et Civilisation », 2016. [Google Scholar]
  8. La genèse de la politique. Légitimation VI, Paris, L’Harmattan, Collection : « Psychanalyse et civilisations », 2013. [Google Scholar]
  9. L’accès au social. Légitimation V, Paris, L’Harmattan, Collection : « Psychanalyse et civilisations », 2012 [Google Scholar]
  10. Claude Lefort et l’idée de société démocratique, Paris, L’Harmattan, Collection « Logiques sociales », 2011. [Google Scholar]
  11. Des sociologues dans la soute (1963-1998), Paris, L’Harmattan, collection « Sociologie de la connaissance », 2009. [Google Scholar]
  12. Le Pouvoir. Légitimation IV, Paris, L’Harmattan, Collection « Psychanalyse et civilisations », 2009. [Google Scholar]
  13. L’enthousiasme de Madame de Staël, Paris, L’Harmattan, Collection « Logiques sociales. Sociologie de la connaissance », 2007. [Google Scholar]
  14. Don et échange, Légitimation III, Paris, L’Harmattan, Collection : « Psychanalyse et civilisations », 2005. [Google Scholar]
  15. La légitimation du pouvoir. L’Un sans l’autre, Paris, L’Harmattan, 2005. [Google Scholar]
  16. L’État et son autorité, l’idéologie paternaliste [1976], Paris Anthropos, 2005. [Google Scholar]
  17. Figures de l’exclusion. Parcours de Sans Domicile Fixe, en collaboration avec Jacques Guillou, Paris, L’Harmattan, 2004. [Google Scholar]
  18. Quelle autorité aujourd’hui ? Légitimité et démocratie, Paris, Éditions ESF, 2002. [Google Scholar]
  19. La fonction du libre-arbitre. Légitimation II, Paris, L’Harmattan, Collection : « Psychanalyse et civilisations », 2001. [Google Scholar]
  20. Sociologie : Définitions, champs, démarche, en collaboration avec Didier Poussin, Paris, Éditions ASH, 2000. [Google Scholar]
  21. Déconstruire le handicap, Citoyenneté et folie, en collaboration avec Roland Demonet, Paris, Éditions du CTENRHI, 2000. [Google Scholar]
  22. L‘empirisme en sociologie [1992] Paris, L’Harmattan, Collection « Logiques sociales », 2000. [Google Scholar]
  23. Misère et pauvreté. Sans Domicile Fixe et sous-prolétaires, en collaboration avec Jacques Guillou, Paris, L’Harmattan, Collection « Logiques sociales », 1999. [Google Scholar]
  24. D’une sociologie de la méconnaissance, en collaboration avec Marie-Christine d’Unrug, Paris, Éditions Anthropos, 1999. [Google Scholar]
  25. La Légitimation. Approche, psychanalytique, sociologique et anthropologique, Paris, L’Harmattan, collection « Psychanalyse et civilisations », 1997. [Google Scholar]
  26. Les Sans Domicile Fixe : Un phénomène d’errance, en collaboration avec Jacques Guillou, Paris, L’Harmattan, 1995. [Google Scholar]
  27. Sociologie de l’autorité [1985], Paris, L’Harmattan, collection « Logiques sociales », 1990. [Google Scholar]
  28. La Misère blanche. Le mode de vie des exclus, Paris, L’Harmattan, Collection « Logiques sociales », 1988. [Google Scholar]
  29. Analyse du social. Théorie et méthodes, en collaboration avec Dominique Beynier et Didier Le Gall, Paris, Édition Anthropos, 1984. [Google Scholar]

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