Accès gratuit
Numéro
psychologie clinique
Numéro 59, 2025
L’interprétation des psychoses : lieux, cures et pratiques avec les psychoses
Page(s) 6 - 8
DOI https://doi.org/10.1051/psyc/202559006
Publié en ligne 20 juin 2025

Encore une fois se remettre sur la table de travail à partir de la question : où en sommes nous dans la pratique psychanalytique des sujets dits psychotiques ? Un « nous » des psychanalystes est difficilement identifiable, pourtant une expérience commune, parce que donnée par l’unicité de la méthode Freudienne, invite à l’examen de problématiques partagées. C’est de la pratique psychanalytique que sortent les impossibles qui se font jour et que les analystes et les analysants traitent. La position subjective propre aux psychoses ouvre un champ d’expérience dont la spécificité n’est pas forcément où on la pense. La folie n’est pas le propre de la psychose, non plus l’expérience hallucinatoire ou délirante et l’incidence de la dimension du Réel comme celui du champ des jouissances, pas non plus le destin psychiatrique et médicamenteux de son traitement par la médecine actuelle. Probablement que la spécificité est ailleurs et concerne l’analyste, au premier chef, dans une direction de la cure contrainte par le transfert psychotique. Dans le site de la cure se déploie un savoir des psychoses, savoir humain, savoir sur la création, savoir sur le deuil et le désir, dont les analystes, lorsqu’ils s’avancent sur les scènes de la culture, ont probablement le devoir le message qu’il recèle. Peut-être est-ce là une des participation des psychanalystes, bien plus que de la psychanalyse, à la culture pensée comme travail. Un travail dans un lien de continuité avec ceux du rêve, du délire et de la cure.

Dit encore autrement, la pratique analytique touche à la pensée, à la rationalité, à la raison et à l’irraison. N’est-ce pas alors au lieu même de la résistance des psychoses à la psychanalyse et des psychanalystes aux psychoses que s’ouvre une voie pour penser le rapport des analystes à la psychanalyse comme pratique et comme théorie de la pratique ?

S’entend encore, de manière directe lorsqu’il est refusé de considérer qu’une cure psychanalytique est possible avec les sujets psychotiques, notamment faute d’un transfert possible, ou de manière plus indirecte, lorsque les conceptions que les analystes se font de la pratique la réduit a une psychothérapie de soutien des suppléances ou de limitation de la jouissance, que les psychanalystes résistent aux psychoses. Aussi se déploient des travaux, qui retiennent pleinement l’intérêt, de pratiques auprès de patients psychotiques en institution dessinant, en creux, l’idée que les cures en cabinet ne sont pas possibles.

Pourtant la direction de la cure concerne les psychoses et des cures ont lieu. Un sujet psychotique peut choisir de s’engager dans une analyse et y écrire, comme chacun, ce que, pour lui, sera une cure. Il pourra prendre la direction occupée par le transfert, « au cours du faire psychanalysant », « la marche vers ce qui est l’horizon, le mirage, le point d’arrivée » auquel Lacan a « défini le rendez-vous en tant qu’il est défini par le sujet supposé savoir. Le psychanalysant au départ prend son bâton, charge sa besace, pour aller à la rencontre, au rendez-vous avec le sujet supposé savoir »3.

Dans cette tâche, sous transfert, le travail de l’inconscient, de ses formations et de ses interprétations, la grammaire des pulsions et les modes de présence du corps rencontrent le désir de l’analyste. Ce qui s’en produit – c’est le travail de l’analyse – interroge le savoir y faire avec lalangue, les coordonnées de l’hallucination et du rêve, la puissance de la création et de la sublimation en appui sur la distinction féconde entre l’oeuvre de la négation et celle de la néantisation.

L’analyste s’y rend sensible aux points de catastrophe de la structure tout comme à ce qui, dans la névrose, ne se trouve normé par l’Oedipe et excède l’efficience du nom-du-père. En ce point même où la mélancolie enseigne sur les modes d’assujettissement à la structure (névrose, psychose et perversion), ce lieu où s’écrivent les destins de la perte et les métamorphoses du rapport à l’Autre, entre la terreur qu’il se dérobe et le réglage sur son inexistence, s’interprète chez l’analyste la matière du lui-même avec laquelle il travaille. Peut- être, alors, s’éclairera la tension qui le saisit entre l’exigence de ne pas y mettre trop ses plis et l’inévitable de les mettre pas trop tôt et peut-être pas n’importe lesquels ? N’est-ce pas aussi interroger l’incidence du désir de l’analyste dans sa rencontre avec le transfert psychotique ? Et peut-être, avec ce désir, ce qu’il en est de la pensée, de la parole et d’une spécificité du travail psychique exigé chez l’analyste.

Comment se laissent orienter les analystes aujourd’hui ? Après Freud, après Ferenczi, après Klein et Bion, après Lacan ?

Qu’en est-il du maniement du transfert et de l’interprétation ? Qu’en est-il de la fin de l’analyse ? Qu’apprend la pratique psychanalytique des psychoses aux analystes sur la psychanalyse et, plus encore, sur leurs analyses ?

Cette pratique n’éclaire t elle pas celle avec les névroses ?

Aurait-elle une incidence sur la pensée et les constructions métapsychologiques ? Comment expliciter les voies par lesquelles la pratique donne naissance aux constructions théoriques ? Une pensée qui voisine avec les folies et l’irraison, la spéculation, la construction, mais aussi les passions d’amour, de haine et d’ignorance et peuvent, non pas être considérés comme des productions méta, mais bien plus des objets psychiques appartenant pleinement a la pratique et a la possibilité de la supporter. La supporter pour s’y orienter mais aussi pour s’y tenir.

La pensée de et dans l’expérience trouve secours dans des constructions qui appartiennent tant aux impasses subjectives de chaque analystes qu’aux productions singulières de chaque cure. Ce qui se construit pour chaque cure, dans le vif de l’imprédicable du dire et de l’acte passe mal au commun de ce qui se partage entre analystes. De cet impossible même s’échafaudent des théories et des écritures – ce n’est pas la même chose – communes qui portent la trace de « l’autre raison » de l’inconscient. Un inconscient qui n’est peut-être pas tellement ce qui échappe à la raison que ce qui le produit et l’invente.

Raisonnable n’est pas freudien, non plus le sujet dont l’analyste s’occupe. L’amour, dont le transfert est la vérité, n’est-elle pas cette folie à la portée de tous ? Le transfert n’est pas raisonnable et c’est cela même qui le fait levain et obstacle à la cure. La possibilité de la folie centre la structure, ses points de catastrophes, ses crises, l’assise de la nécessité d’être que l’on pourrait nommer désir, cela ferait-il moteur pour le travail psychique en analyse ?. Désir, folie, réalité psychique, symptôme ne seraient-ils pas cette imposition de vivant a un monde, celui de la réalité matérielle, qui ne le serait pas ? Plutôt être malade que mort, rêveur que pragmatique, musicien qu’algébriste, funambule que piéton. Les pieds dans la pulsion, la tête dans les étoiles.

Comment font les cliniciens pour suffisamment rêver l’expérience sans la délirer, en préserver la folie sans la normer à mort ? Comment l’irréel et l’irraisonable trouvent lien à la raison ? Que fait cet irraisonnable dans le nécessaire de la raison et de ses raisons qui se nomment sciences et savoirs ? De quels savoirs l’irraison fabrique les écritures où les analystes se répèrent dans l’expérience ? Le Réel lacanien est-il le nom même de cette irraison ?

Ce numéro fait place à ce que des psychanalystes ont pu inventer de dispositif et lieux institutionnels de soin (Tosquelles, Oury, Mannoni, et d’autres) et à leurs prises de positions, cliniques et politiques sur ce qu’interroge la dite folie des processus de ségrégation dans le lien social. Soigner la folie rejoignant alors le souci constant de soigner dans l’institution et de soigner l’institution.


1

Jacques Lacan, L’acte psychanalytique, séance du 24 Janvier 1968, inédit


© Association Psychologie Clinique 2025

Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.

Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.

Le chargement des statistiques peut être long.