Introduction

Les bouleversements technologiques actuels font régulièrement la une des journaux : le marché du travail, la nature des emplois, les formes de l’enseignement, sont questionnées, tandis que les menaces possibles sur les libertés individuelles et collectives font l’objet d’alertes et de mises en garde. De nouvelles fractures vont apparaître, de nouvelles inégalités aussi. Soit, mais l’expertise des technologies ne peut pas se réduire à leur seul aspect économique nourri de préoccupations sociales. L’évolution technologique questionne dans son fondement même la psychologie construite au cours du _XX^e siècle, centrée sur les rapports de l’homme à lui-même et à ses semblables. Deux changements majeurs sont en effet en train de s’opérer. Tout d’abord, les machines seront progressivement dotées d’un certain degré d’intelligence sociale et émotionnelle, à tel point que l’objet le plus demandé risque de devenir une personnalité avec laquelle interagir, avec des conséquences évidemment considérables sur les utilisateurs : quand les objets prétendent s’humaniser, le risque de robotisation de l’homme n’est pas loin. Parallèlement, les technologies ne seront pas seulement de plus en plus perçues comme une extension de notre corps physique, selon les travaux d’Alfred Lotka et André Leroi-Gourhan, elles seront aussi de plus en plus intégrées dans celui-ci.

De nouveaux comportements se développeront, et certains d’entre eux, réputés marginaux et pathologiques aujourd’hui, pourraient être envisagées demain comme de nouvelles formes de normalités¹. Autrement dit, bien loin de voir dans ces changements souvent déroutants de nouvelles occasions possibles de pathologies, il nous semble essentiel de comprendre comment de nouvelles formes de rapport à soi, au monde et aux autres sont en train de s’installer. C’est ce nouvel espace d’interrogations dont s’occupe la cyberpsychologie². Elle a deux axes complémentaires : l’un s’interroge sur les implications de la nouvelle cohabitation entre l’homme et des machines dotées d’une personnalité qui simulera de mieux en mieux les capacités humaines; l’autre sur les conséquences mentales et sociales de la cohabitation, à l’intérieur même de l’humain, de sa biologie, et de technologies émergentes qui y seront de plus en plus implémentées.

En France, c’est à la psychanalyse qu’il revient d’avoir pris à bras le corps ces questions, comme en témoigne la création de l’Institut pour l’étude des relations Homme-Robots en 2013 (www.ierhr.org), puis celle du premier diplôme universitaire de Cyberpsychologie au sein des « Études psychanalytiques » de l’Université de Paris – anciennement dépendantes de Paris VII Denis Diderot. Ce DU a une longue histoire, puisque nous l’avons proposé à Paris VII pour la première fois sur l’année universitaire 2011-2012, mais c’était probablement trop tôt... Entre-temps, heureusement, les esprits ont évolué, et la convergence indispensable entre les sciences humaines d’un côté et les disciplines technologiques d’un autre est devenue de plus en plus évidente.

Nous tenons à remercier ici ceux qui ont soutenu cette ouverture. Ce numéro manifeste la richesse des recherches dans ce domaine, qui touche à tous les univers du champ social, parce que la technologie est partout, à commencer par l’intérieur de nos corps !

Ensemble, nous formerons une génération de cyberpsychologues qui sauront faire avec le monde psychique d’aujourd’hui, et de demain !

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