Numéro |
psychologie clinique
Numéro 39, 2015
Ruptures culturelles et dispositifs thérapeutiques
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Page(s) | 174 - 176 | |
Section | Hommages | |
DOI | https://doi.org/10.1051/psyc/201539174 | |
Publié en ligne | 20 juillet 2015 |
Hommage à Nanette Zmeri Frej
« Sur le chemin se trouve une pierre »
Alors qu’a été interrompue une trajectoire construite dans la délicatesse, l’enchantement et le soin de tout ce qui touche à l’humain, nous recourons à l’écriture qui, via ce texte, nous permet d’exprimer notre reconnaissance à la personne et au travail de Nanette Zmeri Frej. Son dévouement au travail a considérablement marqué sa vie et chacune de ses adresses à la clinique, à l’université, à sa famille. Face à l’adversité, aux pierres d’achoppement, elle ne se décourageait pas et sa réponse était toujours : « répondons par le travail ».
Elle était fille de Palestiniens, d’une famille arrivée à Recife, au Brésil, dans l’entre- deux-guerres, et venue rejoindre la petite colonie de même origine. En dépit de sa réserve et de sa discrétion, quand Nanette parlait de ses racines, elle mettait en relief la force et la dignité de sa famille. Au croisement des frontières géographiques et culturelles du Brésil et de la France, un point de rencontre : l’accueil de ces deux pays dont elle parlait avec gratitude, amour et respect. Grâce à eux, à des moments distincts de sa vie, elle a pu se poser pour se mettre au travail.
Son immersion dans la psychanalyse a débuté quand, très jeune au lycée, elle s’est retrouvée face au texte freudien auquel elle s’est dédiée avec l’engagement d’une femme studieuse, impliquée dans la construction d’un savoir qui a toujours soutenu sa pratique clinique. Son choix d’un cursus en psychologie - conclu en 1973 à l’Université Catholique de Pernambouc - lui a ouvert la voie d’une formation psychanalytique. Elle a travaillé pendant trois ans à l’ancienne Febem (Fondation de l’État pour le bien-être des mineurs) auprès d’adolescents en conflit avec la loi et a enseigné à l’Université Fédérale de Pernambouc, en 1976, début de sa pratique clinique au sein d’un cabinet privé. En 1977, elle a intégré le corps professoral de l’Université Catholique de Pernambouc - où elle travaillait encore au moment de son décès - comme professeure et superviseuse de stage à la clinique-école, puis, à partir de 2007, comme chercheuse et directrice de mémoires et de thèses. Dans les années 70, elle a également été membre fondatrice du Centre d’Études Freudiennes de Recife puis, en 2013, après avoir été analyste praticienne depuis 2010, elle est devenue membre de l’Association Lacanienne Internationale. Nanette a obtenu son Diplôme d’Études Approfondies à l’Université Paris 13 où elle a achevé son doctorat en 2003, soutenant sa thèse intitulée Le don du nom et son empêchement - au sujet des enfants de rue au Brésil, sous la direction de Jean-Jacques Rassial. En 2009, elle a réalisé un postdoctorat à l’Université Paris Diderot, accompagnée par Christian Hoffmann. Engagée dans la transmission de la psychanalyse, son parcours universitaire a été guidé par la prudence qu elle jugeait nécessaire pour la non-psychologisation de cette première, afin d’éviter les amalgames entre celle-ci et l’université, considérant que leur convivialité pacifique n’était pas toujours possible. Concernant son rapport à ses élèves, soulignons son ravissement à l’égard de leur éveil pour les phénomènes cliniques, leur désir de devenir auteurs et les encouragements qu’elle leur a prodigués, ce qui a d’ailleurs fait d’elle une référence pour plusieurs d’entre eux. Selon Nanette, la fonction de professeur(e), au-delà de la transmission formelle du savoir scientifique, devait consister en une intervention, susceptible d’opérer un travail psychique parmi les élèves.
Admiratrice des arts dans leur ensemble, Rodin était l’un de ses artistes préférés. En littérature, elle faisait toujours référence à Guimarâes Rosa, écrivain brésilien dont l’œuvre dissipe les limites entre prose et poésie. C’est à lui que nous devons cette phrase qui définit si bien la place qu’occupait Nanette à l’université : « Un maître n’est pas celui qui sans cesse enseigne, mais celui qui soudain apprend. » C’était de la place de celui qui se permet d’être infiltré par ce qui émerge qu elle partageait les questions qui la surprenaient, comme cette énigme qui l’a longtemps intriguée, au sujet de la phrase du poète Vergilio Ferreira : « De ma langue, on voit la mer ». Dotée d’un sens critique aigu et d’une sensibilité politique, elle était profondément inquiète pour le destin de l’humanité, face aux transformations sociales, politiques, économiques, s’interrogeant continuellement quant aux effets de ces dernières sur la pratique clinique et l’université.
C’était avec sensibilité et générosité que, imbue des mots propres à la psychanalyse, Nanette parlait des pierres d’achoppement en clinique, théorie, ainsi capable d’avancer dans une élaboration guidée par une finesse, une rigueur avec les concepts, une inquiétude qui, loin d’afficher une position du savoir, soutenaient l’humilité d’un non-savoir qui la stimulait. Sa précision théorique, son travail méticuleux, quasi archéologique vis-à-vis de la construction des mots se heurtaient parfois aux délais imposés par la vie universitaire. Son intérêt pour la langue la poussait dans un processus créatif marqué par une position conséquente dans l’usage qu elle faisait des mots, non sans une certaine liberté de subversion pour jouer avec eux.
C’était peut-être à partir de cet intérêt, qui l’avait fait plonger dans l’œuvre freudienne en allemand, en français et en portugais, qu elle a trébuché sur le terme Aufhebung, présent dans le texte freudien à diverses reprises, terme qu’elle considérait comme un « mouvement qui métamorphose les espaces et l’énergie qui y circule », « une pierre d’achoppement qui inaugure un parcours de création constante d’espaces qui situe et distingue entre eux l’organisme, le corps, l’individu dans la société et dans la culture » (Frej). Sa thèse a trouvé un soutien important dans sa rencontre avec l’« Esquisse d’une psychologie scientifique » (Freud, 1895), travail ardu ayant eu pour résultat de lire, de façon très particulière, le texte freudien. En soulignant, dans le mouvement de YAufhebung, l’énergie qui circule dans la création des espaces, délimitant des frontières et permettant les adresses du sujet, Nanette a offert d’intégrer la notion d’arc réflexe dans le fonctionnement de l’appareil psychique, dans le champ analytique, apportant ainsi de grandes contributions à la recherche et à la clinique psychanalytique.
Nous concluons cet hommage à notre chère Nanette Zmeri Frej avec ce qui, dans son écriture, s’inscrit comme le fruit d’un travail marqué par son désir, son engagement et son investissement dans la transmission de la psychanalyse. « La mort qui produit et soutient la vie est irreprésentable dans l’inconscient. Par contre, c’est la mort qui produit la représentation. C’est elle qui s’inscrit dans l’intervalle des lettres que nous écrivons d’une façon à permettre que Fliess, le destinataire originel des lettres de Freud, soit conservé dans chacun de ses lecteurs. Je parle de l’écriture produite par l’inscription de ce qui ne se représente pas. Rappelons-nous que le père assassiné ne se représente pas. Sa voix, absente, se fait écrite. » (Nanette Z. Frej) Avec gratitude et reconnaissance à la personne et à son œuvre,
Recife, le 27 février 2015.
© Association Psychologie Clinique 2015
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