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Editorial
Numéro
psychologie clinique
Numéro 41, 2016
Imaginaire et réalité
Page(s) 5 - 8
DOI https://doi.org/10.1051/psyc/201641005
Publié en ligne 14 juin 2016

On n’a pas tous les jours vingt ans chantait la chère Berthe Sylva. Par les temps plus que rudes que traversent en ce moment les revues scientifiques de psychologie clinique et de psychanalyse, voilà notre jeune revue Psychologie Clinique nouvelle série parvenue à un très bel âge. La rédaction exprime ici ses plus chaleureux remerciements à toutes celles et tous ceux qui font vivre Psychologie Clinique : ses lecteurs et aussi tous ceux qui contribuent à la belle allure et à la bonne santé de l’aventure, qu’ils écrivent des articles, des comptes rendus de lecture, des actualités ou qu’ils nous apportent leurs expertises motivées des articles soumis à leur lecture; toujours respectueux des auteurs, leurs commentaires nous permettent de décider si nous publions ou pas ce qui nous est proposé.

Un mot d’histoire. Il y a presque un quart de siècle de cela, Claude Revault d’Allonnes et Alain Giami me confièrent les clefs de l’entreprise. L’un et l’autre, l’un avec l’autre avaient soutenu le projet d’une revue de psychologie clinique à part entière, qui ne serait plus un supplément de bulletin de laboratoire. Cette revue vit le jour, elle était alors rattachée au laboratoire de psychologie sociale clinique de l’Université Paris 7 par Claude Revault d’Allonnes dirigé. Six numéros vinrent à parution mais de façon insuffisamment régulière pour que l’éditeur d’alors en poursuive la publication. Cette première aventure s’acheva au tout début des années 1990. On s’en doute, l’affaire pour autant ne fut pas enterrée et elle ne devait pas l’être; en effet, un désir de revue persistait tant chez Claude que chez Alain. Lorsqu’à ma vive surprise, j’étais à peine nommé Maître de Conférences dans la bonne université de Rennes 2, ils m’invitèrent à reprendre le flambeau, jamais ils ne me refusèrent leur concours. Continuité certes du projet éditorial mais mutation nette et délibérée également. La conception que mes deux aînés se faisaient d’une revue avait changé. D’un mot je pourrai situer ce qu’ils attendaient de moi et de l’équipe renouvelée que je ne manquais pas de composer avec leur accord. Ce mot serait celui d’autonomie. « Quitte à occasionner quelques grincements de dents il fallait détacher la revue de quelque labo que ce soit », m’écrivait en quelques lignes nerveuses et avec son alacrité coutumière Claude déjà malade. Elle nous quitta avec le courage et la dignité que l’on sait lors que les imprimeries de l’Harmattan avaient délivré le cinquième numéro de la nouvelle revue. L’indépendance, oui, j’en étais mille fois d’accord et la voulais, mais cette bonne volonté ne suffisait pas à rendre viable un projet éditorial. Une fois les comités de lecture changés, la vieille équipe se trouvant resserrée autour de bons collègues décidés à défendre la clinique du sujet, nous avions la voie dégagée pour y adjoindre de nouveaux venus, choisis en raison de leur indépendance d’esprit, de leur culture et de leur connaissance du terrain. C’est ainsi que, sur les conseils d’Alain Giami, vint immédiatement nous rejoindre Claude Wacjman qui joua et joue un rôle irremplaçable au secrétariat de rédaction de la revue. Robert Samacher fut aussi de la rédaction, aujourd’hui Pierrick Brient, Irit Abramson, Julie Cohen-Salmon et Serge Raymond forment avec Claude Wacjman et moi une équipe dynamique où les jeunes et les doyens cohabitent au mieux dans un souci de transmission.

J’en reviens au démarrage de cette nouvelle série, qu’édita l’Harmattan pendant treize années à compter du printemps de l’année 1996 et que reprend aujourd’hui le groupe EDK/EDP Sciences. Entre le moment, une matinée de l’été 1994 où Claude Revault d’Allonnes et Alain Giami me confièrent cette tâche aussi intimidante qu’exaltante de direction et la parution du premier numéro, en 1996 donc, nous, l’équipe des rédacteurs à laquelle se trouvèrent adjoints des comités de lecture et scientifique passâmes du temps, beaucoup de temps il est vrai, en réunion. Si Claude Veil ne nous avait pas un peu pressé, sans doute serions nous restés, jusqu’à éprouver de la lassitude à méditer collectivement sur ce que pourrait ou devrait être une revue. Une plate forme vit le jour, signée et publiée dans le premier numéro “Cliniques, tensions et filiations”. Elle était signée par Alain Giami, Edmond Marc et moi. J’ai au moment où j’écris ces lignes ce numéro sous les yeux. Je vois avec plaisir et reconnaissance qu’au fil du temps beaucoup de nos collègues de l’étranger se sont intéressés à la revue, y publient et, où qu’ils soient, la soutiennent. Des deux Amériques, du continent Africain, du Maghreb au Congo, de l’Asie, le Japon et ses deux Chine, de la dite « vieille Europe » au Moyen Orient, des universités ou des centres de soins se sont mis en résonnance avec nos projets par la plume de quelques uns de leurs plus audacieux représentants.

Nous voilà en 2016. Le paysage de la psychologie clinique en France a changé et dans le monde il s’est produit tout autant de mutations concernant cette discipline. D’une part la psychanalyse n’est plus la référence doctrinale majeure. Mais de là à la poser comme désuète ou résiduelle il y a toute une volée de marches que nous n’avons jamais franchi. Et il ne nous étonne guère que, périodiquement on « redécouvre » les mérites à long et moyen termes et des bonnes cures classiques et de l’extension de la psychanalyse dans des champs de thérapie et de recherches que Freud, en dépit de son audace, n’avait pas explorés. Les batailles autour de l’autisme ou de la psychose sont loin d’être closes. Et nous soutenons, résolument, la rationalité et le probant de la clinique du sujet et de l’hypothèse de l’inconscient, sans nous fermer à d’autres approches, du moment qu’elles sont fondées en raison. Le scientisme étant bien entendu une facilité que nous refusons.

La complexité du fait clinique impose aussi un dialogue continu avec la psychiatrie et l’anthropologie. Nous sommes solidaires des mouvements importants de résistance que la psychiatrie cultivée oppose à une « world psychiatry » indexée au bavard et stérile DSM, cet accident nord-américain, si rudement critiqué dans les pays anglosaxons mêmes. Nous sommes en lien de travail constant avec les anthropologues de la modernité qui, souvent contribuent par des articles traitant des politiques sanitaires, de la marchandisation des modèles de santé et de guérison, contribuent à la vie de notre revue.

Le monde institutionnel où travaillent de nombreux psychologues cliniciens et où on enseigne cette psychologie a lui aussi changé. Pas toujours pour le mieux. Et force est de reconnaître que des régressions formidables ont cours dans nos Universités. Souvent là où l’on enseigne la clinique la lubie est de mépriser la psychanalyse ou de la ringardiser, pour se donner des palmes d’une scientificité plus invoquée que probante, mais souvent aussi des tenants d’une psychopathologie psychanalytique d’un autre âge laisse filtrer dans des filières de psychopathologie qu’il suffirait de maudire Lacan pour être freudien. Balivernes, certes, mais nos jeunes étudiants qui ne s’en laissent pas si aisément conter demandent autre chose à nos établissements d’enseignement. Nous soutenons bien évidemment le discours universitaire, s’il est un discours actuel qui sait commenter et ouvrir au débat, s’il distingue les épistémés, s’il ne s’interdit pas, enfin, d’explorer les avancées de telles ou telles disciplines.

Dans nos institutions de soin l’heure est certes à la défensive mais aussi à l’invention et à l’innovation. De nouvelles pratiques dans de nouveaux terrains sont remarquées, soutenues par nous tant nous tenons, et je pense qu’un effort reste à faire encore par notre revue, à ce que les pratiques innovantes « remontent » vers ceux qui nous lisent : usagers, praticiens et/ou décideurs.

Aussi nous avons à coeur d’ouvrir plus encore l’examen critique du panorama de ce qu’est la psychologie clinique centrée sur la clinique du sujet. Nous sommes là en écho avec tous les débats très incisifs qui concernent l’évaluation des psychothérapies, la légitimité de la psychanalyse dans les institutions soignantes, les classifications en psychiatrie. Nous ouvrons toutefois à des perspectives anthropologiques. D’où notre intérêt renouvelé pour dégager les schémas anthropologiques qui se dégagent des protocoles de diagnostic, de soins ou d’éducations à la mode.

Je ne peux toutefois célébrer les vingt ans de notre vaillante et indépendante revue (car le voeu d’autonomie que Claude Revault d’Allonnes me confia fut strictement respecté avec l’accord de tous) sans continuer à ouvrir le propos.

En vingt ans le monde a changé. Les violences identitaires sont bien plus virulentes qu’avant. Les états de violence aussi. Nos quarante numéros allant de 1994 à 2015 ont, confusément certes, mais régulièrement pris la mesure des processus de déshumanisation et de radicalisation que nous observons désormais. En sommes nous les témoins passifs ?

L’exclusion et l’auto exclusion brisent le lien, portent atteinte à la dimension de l’altérité. Des cliniciens travaillent à tresser du possible, du lien de la parole, de l’humanisation. Qu’en est-il aujourd’hui de cette clinique contemporaine, qu’observons-nous, qu’entendons-nous ? Quels dispositifs se mettent en place ? Nous avons vu, par exemple la psychopathologie de l’immigration heureusement supplantée par l’ethnopsychiatrie puis l’ethnopsychanalyse de G. Devereux et de F. Laplantine. Cette dernière connut les menaces du folklorisme qu’occasionnent toute tentation de l’exotisme. Vinrent alors vivifier ce concernement clinique pour l’alter les cliniques de l’exil, qui ne purent se montrer que très polémiques avec l’ethnopsychiatrie réduite, loin de Devereux, à un folklorisme par tentation de l’exotisme. Aujourd’hui insiste la dimension du sans lieu, du sans abri, deux dimensions qui s’imposent à notre attention par la réalité de l’errant et celle du réfugié.

Ce n’est qu’un exemple mais il est probant. Il nous permet de préciser encore les choix qu’assume votre revue, cher lecteur, et notre raison d’être et de durer. Il s’agit bien de serer au plus près les nouvelles configurations des subjectivités, des détresses et des violences, et des espoirs humanisants, et d’interroger des dispositifs cliniques qui sont concernés par de tels processus. Il nous revient de façon plus large d’explorer les nouveaux liens qui jouent dans nos modernités entre espace psychique et espace urbain, entre violence et subjectivation, entre modernité et génération, entre folie et création.

Rien d’un tel programme ne serait possible en faisant fi des interrogations plus fondamentales qui concernent l’état actuel des registres où se joue l’expérience humaine : le symbolique et les états de langage, l’imaginaire et les états de rêve et poésie, le réel et les états de corps.

Ce programme est exigeant et vaste; pour les toutes proches années à venir des numéros verront le jour autour de la clinique du tout petit, des refuges, de l’habitat… Je ne peux clore ce petit message d’anniversaire sans éprouver une pensée reconnaissante et émue pour celles et ceux qui nous ont quitté et on tant donné à cette revue : Claude Revault d’Allonnes en tout premier lieu, Claude Veil qui fut un maître accoucheur du premier numéro, Michèle Huguet qui me fit l’honneur de coordonner avec moi les numéros trois et quatre consacrés à l’exil, Jacqueline Barus-Michel, récemment soustraite à notre affection.

Il ne me reste plus qu’à inviter nos lecteurs à réagir aux numéros que, régulièrement, nous lui proposons.


© Association Psychologie Clinique 2016

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