Numéro |
psychologie clinique
Numéro 41, 2016
Imaginaire et réalité
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Page(s) | 9 - 11 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/psyc/201641009 | |
Publié en ligne | 14 juin 2016 |
Présentation
Psychanalyste à Nancy. Membre de l’École freudienne
Au commencement était le rêve
Le sens commun oppose habituellement l’imaginaire – le rêve, la rêverie, le fantasme, la fantasmagorie, le délire… – à la réalité. Il est curieusement rejoint par une certaine psychologie adaptative vers laquelle a pu être tirée la psychanalyse. Freud pourtant, très tôt, amène, en même temps que le fantasme, la notion d’une « réalité psychique » opposée à la réalité matérielle et possédant tout autant sa cohérence et sa consistance. C’est avec le rêve, comme voie royale vers l’inconscient, que Freud inaugure la psychanalyse. sous le primat du rêve, ou plus exactement de l’hallucination, qu’il place l’entrée dans le monde du nourrisson, dont il repère qu’en l’absence du sein, il tète dans le vide : le petit enfant hallucine dès le départ l’objet de satisfaction. Avec l’entrée dans la parole, il pourra être constaté qu’il rêve à proprement parler, en tout cas qu’il peut en rendre compte. Et là, la dimension de la satisfaction recherchée apparaît clairement, mais articulée à celle de l’interdit. Ainsi, dans un exemple rapporté par Freud dans L’Interprétation des rêves, la petite Anna, mise à la diète par l’entourage, dit dans son sommeil : « Anna Freud, fraises, grosses fraises, flan, bouillie. » Elle manifeste ainsi son rapport à un ordre symbolique, sous la forme de la « police sanitaire » parentale, ordre dans lequel elle se compte. Elle est entrée dans l’humanité.
Évanescents par définition, du désir et de la satisfaction chez les premiers humains, on ne sait rien. Mais on sait que les paléontologues considèrent l’entrée dans l’humanité à partir de la présence de traces de réalisations artistiques et aussi de traces de rites funéraires. L’humain est un être désirant mais aussi il se sait mortel : il enterre ses morts et les honore. Il se sait mortel et se défend de ce réel en le voilant par ses productions artistiques et l’élaboration de mythes : d’où le dernier grand mythe, inventé par Freud, celui du meurtre du père qui fait passer la « horde primitive » au statut de communauté humaine. Après son utilisation du mythe d’OEdipe, Freud lie ainsi, au fondement de l’inconscient, le sexe et la mort : parce que sexué, l’humain est mortel. Le rêve à son ombilic, parfois, tourne au cauchemar.
Le manque dans l’Autre va ainsi se trouver redoublé et voilé par l’énigme de la féminité, l’impossible à représenter le sexe féminin, d’où le questionnement de l’enfant sur l’origine, et les théories sexuelles infantiles qui tentent d’y répondre.
Qu’est-il dès lors attendu de moi ? À cette quête du sens de la vie, c’est le fantasme qui, pour chacun, viendra répondre et cadrer sa réalité. Du fantasme, Lacan dégagera la structure (rapport du sujet à l’objet de son désir) à partir du texte princeps “Un enfant est battu”, après que Freud l’a exhumé et exploré dans les grands cas des cinq psychanalyses, illustrations cliniques où se déploient les bases de l’élaboration théorique et de la technique freudienne.
Mais la résistance à ce qui est ainsi opéré d’un décentrement « copernicien » du moi va faire retour chez les psychanalystes post-freudiens eux-mêmes, notamment dans la psychanalyse anglo-saxonne (ego psychology), avec la remise, au centre du jeu, du moi « maître chez lui » et le gauchissement de la pratique analytique vers une entreprise d’adaptation à la réalité. Lacan en fera la critique et en tirera les conséquences sur la conduite et la fin de la cure, et s’attachera à rendre compte formellement de la dimension symbolique dont il pose le primat : graphes, logique, mathèmes, nombre d’or… qui annoncent après la topologie, les formules de la sexuation et les noeuds.
D’où la tentative pour cerner le réel sur laquelle Lacan mettra l’accent dans la dernière partie de son enseignement et que reprendra Solange Faladé dans son travail sur la Clinique de la Chose. Travail qui vient retrouver les premiers travaux de Freud dans “L’Esquisse d’une psychologie scientifique”. Ce réel vient à être bordé pour l’enfant par la manière dont lui sont apportés les objets de jouissance, le savoir et l’Idéal. C’est là la fonction du phallus. L’accès à sa signification aura pour conséquences la mise en place du fantasme et du symptôme dans la névrose (Élisabeth qui tient douloureusement debout seule), tandis que sa forclusion dans la psychose entrainera les phénomènes élémentaires et le délire (le président Schreber qui rêve devant son miroir d’être la femme de Dieu). Du symptôme au sinthome ?
Sinthome, c’est le terme que Lacan avancera pour rendre compte de la fonction de l’écriture chez Joyce. Il renouvelle ainsi le questionnement sur la manière dont l’artiste peut faire tenir, voire transformer sa réalité : questionnement sur la sublimation engagé par Freud à propos de Léonard de Vinci, mais manqué dans sa rencontre avec les surréalistes.
La sublimation, ou comment mettre au service de buts non sexuels une partie de la libido échappant au refoulement : la réalisation de l’imaginaire apparaît ainsi comme essentielle aux humains, et pas seulement dans les manifestations du « grand art ». En témoigne, entre autres, l’art brut : le facteur Cheval peut faire un palais avec des cailloux ! Et aspirer à devenir le père de son oeuvre…
Ce sont ces questions que ce dossier se propose de traiter, sans doute pas de façon exhaustive, essentiellement à partir des travaux réalisés dans le cadre de l’École freudienne fondée et dirigée par Solange Faladé de 1983 jusqu’à sa mort en 2004.
© Association Psychologie Clinique 2016
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