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Numéro
psychologie clinique
Numéro 51, 2021
Entre croyance et conviction, l’incroyance
Page(s) 5 - 6
DOI https://doi.org/10.1051/psyc/202151005
Publié en ligne 9 juillet 2021

Ce numéro a pour signifiants « croyance, incroyance (Unglauben pour Freud), conviction », il répond à une actualité qui oppose en permanence une pensée rationaliste qui privilégie la démarche et la preuve scientifique à celle qui conteste la science et s’intéresse aux phénomènes irrationnels non mesurables faisant appel à des croyances diverses qui peuvent aussi s’imposer comme conviction en tant que vérité qui s’impose. Les articles proposés ici ont pour objectif de préciser les processus en jeu qui permettent de distinguer ces trois notions, en particulier en matière religieuse, philosophique, politique et expliciter toute situation où l’homme est amené à prendre parti sous la forme d’une opinion (Meinen) ayant un caractère normatif, tranché, laquelle peut échapper à toute critique, à toute vérification et répond à une émotion, à une réaction passionnelle et qui se transmet intentionnellement, à distinguer de la foi (Glauben) qui répond au domaine religieux. Elle peut s’imposer et devenir indiscutable en tant que conviction mais elle peut aussi s’alimenter du doute. Dans le film d’Anne Fontaine Les Innocentes, une nonne définit la foi de la façon suivante : « La foi, c’est rencontrer le doute pendant 24 heures compensé par une minute d’espérance. » La science (Wissen) de son côté fait appel à un savoir constitué par la démarche expérimentale et ne croit pas en l’existence d’un savoir révélé, elle manifeste ainsi son incroyance par rapport à tout phénomène qui ne sera pas vérifiable expérimentalement. Le statut de la vérité est ainsi posé. Notre époque, dominée par « le discours de la science » et « le discours du capitaliste » interpelle et interroge la croyance en la toute-puissance de la technologie qui correspond au « refus de la croyance » (Versagen des Glaubens) en nos limites qu’évoquait Freud dès 1896 dans son Manuscrit K à propos de la paranoïa, mais cette notion peut également s’étendre à un champ d’application plus étendu, à une réflexion épistémologique selon laquelle l’incroyance se situe au fondement du discours de la science. Quelle place pour la pensée réflexive, pour la science désintéressée, pour les vertus du doute et de l’ennui, dans le monde de la technologie hégémonique et triomphante ? C’est aussi ce même contexte qui permet aux idéologies totalitaires ou au radicalisme religieux de proposer des certitudes et une vérité sans faille à tous ceux qui sont à la recherche des signes de leur existence.

Ce numéro s’ouvre sur la dimension de la croyance chez l’enfant, celle de la croyance en Dieu en lien avec la place du père dans notre société, illustrée par la clinique en CMPP de banlieue et en consultation privée.

Sont ensuite abordés les questions de croyance religieuse, la place accordée à l’exorcisme au sein de l’Église. Dans l’exemple proposé, il a une fonction thérapeutique aussi bien pour l’exorciste que pour celui qui se soumet à cette pratique. Quel est dans ce contexte le rôle de la suggestion ? Les auteurs postulent que le consultant met en œuvre inconsciemment les signes attendus pour que tous puissent conclure à une influence diabolique. Les auteurs proposent des hypothèses interprétatives qui portent sur les processus inconscients en jeu dans la forme de transfert imposée par l’exorciste.

Toujours dans le domaine religieux, un article s’interroge sur ce que peut produire un délire mystique ? Il n’est plus question ici de croyance mais de conviction délirante. Le cas proposé présente un délire de persécution comportant une violence meurtrière qui aboutit au cannibalisme. Le projet de l’auteur est de mettre en évidence le socle psychique sur lequel s’est construit le discours mystique de ce sujet de même que son agir délirant, et éclaire le sens sacrificiel donné à ses actes.

Vient ensuite une interrogation sur ce que peut être la logique qui conduit de la croyance « anonyme » au fanatisme, soit ce que la religion semble devenir lorsque la croyance est abandonnée au profit de la certitude, comment situer ce passage ? Qu’en est-il alors du rapport à la foi et comment intervient le lien social ? Interfèrent-ils avec l’évolution du rapport du sujet au Réel en fonction des rencontres ? Compte tenu des éléments ainsi repérés, que signifie à notre époque la multiplication des fanatismes et des passages à l’acte de type « amok » ?

L’article suivant prend position sur ce qu’il en est du rapport de la religion aux objets, en particulier quand ceux-ci ont la fonction du voilement du corps dans les religions monothéistes et les sociétés patriarcales. De nos jours, des courants intégristes imposent au nom d’une supposée orthodoxie islamistes différents vête ments qui recouvrent le corps de la femme en le fétichisant. Paradoxalement, il fait de ces objets des objets de consommation qui entrent dans le circuit capitaliste ; ces vêtements deviennent ainsi semblant d’objet a cause de désir, c’est-à-dire rien d’autre que des « lathouses », signifiant proposé par Jacques Lacan, et qui, dans ce contexte, participent à une stratégie de voilement de la vérité de sujets en quête d’idéalité, sujets qui sont embrigadés dans des idéologies politiques et religieuses totalitaires favorisant le fanatisme et le radicalisme identitaire.

Suit un développement sur ce que devient le rapport d’un sujet psychotique au monde et aux objets alors qu’il est interne en psychiatrie et est censé soigner des patients psychiatriques ? L’analyse de l’ouvrage de François Klein sur les « maladies mentales expérimentales » et leur traitement, est un témoignage exemplaire du rationalisme morbide. L’auteur de l’article précise ainsi les avancées de Lacan concernant l’Unglauben (incroyance) au lieu vide de la Chose dans les psychoses. Qu’en est-il de la logique d’identité au cœur de la position subjective de F. Klein, logique à entendre comme négativiste ? Quel est alors son rapport au malade et à la maladie ?

La notion d’Unglauben rattachée précédemment au négativisme vient ensuite précisée sur le plan théorique à partir des apports freudiens et lacaniens, en relation avec la forclusion du Nom-du-Père. Celle-ci se traduit par l’incroyance au vide de la Chose avec ses effets de jouissance qui participent à une foi absolue que l’on peut nommer conviction, laquelle trouve refuge dans le délire. L’auteur distingue et détaille les différents mécanismes qui découlent du non évidement de la jouissance de la Chose.

Les distinctions entre croyance, incroyance et conviction produisent manifestement leurs effets dans le champ social, Freud aborde les questions liées aux croyances dans ses travaux de psychanalyse appliqués et étendus au champ social en 1927 dans son ouvrage L’Avenir d’une illusion où il interroge le rite religieux qu’il assimile à une névrose obsessionnelle. Il s’intéresse aussi au fonctionnement et à l’influence des institutions religieuses sur le plan individuel et groupal. Cette question de l’influence religieuses et des croyances collectives était présente dès 1921, dans sa Psychologie des foules ; Freud y commente les travaux de Gustave Le Bon, il souligne les effets de suggestion, de la manipulation des foules par un leader charismatique mis en position d’Idéal. Ces questions se trouvent ensuite reposées en 1930 dans Le malaise dans la civilisation puis dans les trois versions de L’Homme Moïse et la religion monothéiste entre 1934 et 1938.

L’article suivant reprend ces questions sous l’angle de la croyance articulée aux situations et enjeux sociaux, économiques et politiques qui déterminent les formes présentes du capitalisme. L’auteure met l’accent sur le marché qui sous-tend la prolifération des croyances et des offres de salut. À travers plusieurs exemples de terrains (Bangladesh, Inde, Vietnam, Laos, Birmanie), elle en fait connaître les effets.

Enfin, article qui clôt ce dossier s’inspire de l’actualité immédiate et souligne la relation existante entre les fake news (« fausses informations ») et le hold-up de la pensée auquel ces fausses vérités participent. Le dévoiement de la théorie freudienne dans le champ de la psychologie des masses a donné naissance à des pratiques de manipulation mentale qui, à partir de visées consuméristes, se sont transformées en propagande politique en vue de l’asservissement et de la destruction de populations entières. Malgré une expérience de plusieurs siècles de civilisation, les peuples sont souvent prêts à suivre des démagogues qui imposent de fausses croyances et qui s’en servent pour asservir et imposer un pouvoir sans limites répondant à leur mégalomanie. Le récent documentaire Hold-up diffusé sur les réseaux sociaux est le paradigme actuel de ce type de manipulation et rend bien compte des rumeurs pernicieuses que peuvent susciter des énoncés non étayés dans un montage rappelant fortement les théories du complot.

Ce dossier permet donc de baliser le champ que constituent les différents aspects de la croyance, en premier lieu celle qui est authentique et qui fait appel au doute (les œuvres de Blaise Pascal en sont aussi un exemple). Ces sujets font savoir qu’au cœur de leur être se manifeste un manque, à distinguer des croyances qui font appel à un absolu et qui s’imposent comme des convictions. L’incroyance (Unglauben), avec ses effets délétères, rend bien compte de certaines formes de pathologie mentale décrites dans ce dossier. Nous n’avons pas négligé le passage des croyances individuelles aux croyances collectives ; Freud s’y est essayé en étendant les processus de fonctionnement psychique individuel aux phénomènes de foule. L’homme sujet social participe aux phénomènes de groupe et de foule parfois pour le meilleur mais peut aussi se laisser entraîner au pire, ce qui témoigne d’un malaise permanent de la culture prise en otage par une assignation identitaire que ce soit le port du voile, la discrimination raciale ou religieuse qui la dévoient, entraînant des débats, des manifestations, des guerres qui ont pour objectif d’imposer des modes de vie, des croyances énoncées comme des convictions qui visent à imposer une pensée unique, un homme standardisé dans un monde réifié.

Le dossier est suivi de varia, où se retrouvent des considérations sur le religieux, d’hommages à de grands disparus et d’une copieuse analyse de livres et de revues.


© Association Psychologie Clinique 2021

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