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Numéro
psychologie clinique
Numéro 52, 2021
Expériences contemporaines de l’« habiter »
Page(s) 225 - 228
Section Hommages
DOI https://doi.org/10.1051/psyc/202152225
Publié en ligne 8 décembre 2021

La Dame de la Psychanalyse Lacanienne

Écrire ces mots sur Diana Rabinovich est pour moi, à la fois, ouverture et fermeture, mouvement et difficulté, soulagement et embarras. Sa disparition soudaine, précoce, absurde, nous a tous déroutés et provoqué en nous une douleur inattendue et très aigüe. Nous connaissons, par contre, les pouvoirs de la lettre, de l’écrit, ce littorallittéral séparant savoir et jouissance, ici invoqués comme souvenir et affect. Je remercie donc à mon ami Olivier Douville de m’avoir donné l’occasion de l’élaboration écrite de ce deuil. Diana, la dame, madame, notre dame de la psychanalyse a choisi, de son désir le plus décidé et intime, de suivre Jaques Lacan. Il faut la considérer non seulement argentine mais surtout sud-américaine : c’est la femme qui a réussi à inviter et amener Lacan en Amérique Latine. Tout concourrait à ce que Buenos Aires, la capitale de la psychanalyse lacanienne de ce coté de l’Atlatique, fut le siège de cette réunion : la psychanalyse, comme le foot-ball, ne peut survivre que sur cette espèce de diagonale coupant la planète entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Mais en 1980 l’Argentine survivait sous la violente dictature civile-militaire sous le commandement de Jorge Rafael Videla1. Lacan se refuse d’y aller, et Caracas au Venezuela est choisie comme la ville où se réaliseront les fameuses conférences – la « Réunion Internationale » – qui marqueront à jamais la psychanalyse latino-américaine d’orientation lacanienne.

Au moment de quitter Paris pour ce voyage, Lacan a déclaré qu’il voulait voir de près ceux qu’il a nommés « mes lacanoaméricains », mot da sa lalangue à lui. Mot destiné à faire histoire, car il a été recueilli par certains psychanalystes attentifs qui ont commencé, tout de suíte après l’avoir entendu, à mettre en place la Réunion Lacanoaméricaine de Psychanalyse. La première fut réalisée à Punta del Este en 1986, pour avoir lieu ensuite tous les deux ans dans une ville d’Argentine, de l’Uruguay ou du Brésil, et ce jusqu’à ce jour.

Reprenons les mots de Lacan lui-même, à la conférence d’Ouverture de la Réunion Internationale de Caracas : « Il faut par contre que je remercie ceux qui ont eu l’idée de cette Rencontre, et nommément Diana Rabinovich.2 »

Diana a écrit plusieurs livres, tous de grande valeur pour la formation du psychanalyste, la transmission de la práxis psychanalytique et du désir du psychanalyste, éléments qui foisonnent dans leurs lignes. La traduction de Lacan en espagnol est aussi de son chef, pour les Séminaires et pour les Écrits. Son héritage pourrait bien s’arrêter là, et il serait dejà enorme. Mais c’est justement sur ce point précis que ma petite biographie croise la grande aventure lacanienne de Diana. On est en 2011 et notre Université – UERJ, Université de l’État de Rio de Janeiro – organise le CONLAPSA (Congrès Latino-Americain de Psychanalyse et Université). Diana Rabinovich fut notre invitée d’honneur. Dejà à la conférence d’ouverture, j’écoute de sa bouche ces phrases qui ne m’ont plus lâché : « Il faut absolument distinguer le registre de l’intime de celui du privé, car ils ne sont pas issus du même œuf ». En conséquence, si la psychanalyse s’occupe de l’intime, ça ne l’engage pas forcément sur le plan du privé. Le privé, l’univers du privi-lège, la loi du privé, fait la place des qualités et valeurs culturelles qui sont étrangères à l’idée même d’inconscient, qui, comme Lacan nous a appris, à partir de Freud, n’admet pas de qualités.

Je dois dire que j’ai construit, sur la solide base de cette distinction, toute une élaboration aboutissant à démontrer que, dans ses coordonnées discursives, la psychanalyse s’oppose de la façon la plus ferme à tout élitisme, même si la pratique concrète des psychanalystes s’est tenue, tout au long de l’histoire, franchement élitiste.

Quelques annés après, j’étais à Vitoria, une ville importante du Brésil, et j’ai appris que Diana était là, invitée par une École locale de Psychanalyse pour faire une conférence. Je l’ai donc appelée à son hotel et l’ai invítée à diner. Cette soirée a été une des plus riches, agréables et amusantes que j’ai eue dans toute ma vie. Puisque mon espagnol n’était pas bon, on a décidé de parler toute la soirée en français, notre langue commune.

Diana part trop tôt. Ce qu’elle nous laisse, à nous psychanalystes, est pourtant immense : la pensée rigoureuse et critique, le témoignage d’une práxis vraiment psychanalytique et une énonciation courageuse, sans ambages, disant ce qu’il faut dire.

C’est le propre d’une psychanalyste qui a su, de sa propre analyse, en faire le meilleur usage : jamais asservie à rien, elle a, par délicatesse, perdu sa vie, mais elle n’a pour autant pas perdu sa délicatesse3.

Luciano Elia, Rio de Janeiro, Brésil, avril 2021

Diana Rabinovich à Paris

J’ai rencontré Diana au Département de psychanalyse de l’Université de Paris-Diderot pour travailler avec elle en 2018. Je la connaissais pour son invitation de Lacan à Caracas et comme une analyste lacanienne et professeure à l’Université de Buenos Aires. Elle donnait une conférence sur le regard dans le séminaire de Lacan : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Elle était très familiarisée avec le discours lacanien, qu’elle transmettait avec beaucoup de sensibilité et de finesse dans son adresse à de jeunes étudiants. Les étudiants l’ont adoptée de suite en suivant le fil de son énonciation avec beaucoup d’attention et de respect. Il ne faisait pas de doute, Diana aimait Lacan et la psychanalyse. Elle transmettait avec bonheur cet amour en acceptant l’échange toujours singulier avec chaque étudiant qui voulait parler avec elle. Nous nous sommes réunis ensuite plusieurs fois dans mon cabinet avec de jeunes analystes pour parler ensemble de la pratique de la psychanalyse lacanienne. Lors de ces discussions cliniques, elle nous a permis de mieux comprendre une orientation lacanienne de la cure par sa préoccupation concernant le sujet. C’est-à-dire qu’il n’y a pas que l’inconscient comme Autre qui tire les ficelles du sujet, il y a également le savoir y faire du sujet avec le Réel dans lequel il s’est pris les pieds. L’analyste n’est plus seulement l’interprète du savoir inconscient, il s’adresse au savoir y faire du sujet avec son réel, c’est-à-dire son symptôme. Ainsi, nous avons accès au « tout dernier » Lacan, celui du séminaire L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, qu’on peut alors traduire : Le non-savoir du savoir de l’acte manqué trouve ses ailes dans l’amour, c’est-à-dire dans le transfert.

Diana est partie, comme d’autres, et nous nous restons sur cette terre, comme le disait Prévert, qui est parfois si jolie, lorsqu’on a eu la chance de rencontrer le désir de l’analyste, comme ce fut le cas pour nous avec Diana.

Christian Hoffmann


1

Par la grâce de la Justice et de l’Histoire, Videla est mort en prison à l’âge de 87 ans en 2013, destin que les criminels de l’État brésilien, qui ont commis des crimes similaires, n’ont jamais connu.

2

Cette intervention de Lacan ouvrant la Rencontre Internationale de Caracas du 12 juillet 1980, a été publiée dans le n° 1 de L’Âne, magazine issu de la dissolution, mars-avril 1981. Elle fut en 1986 reprise dans l’Almanach de la dissolution, Paris, Navarin éditeur, 1986. Elle est désignée dans ces publications sous l’intitulé : « Le séminaire de Caracas ».

3

Allusion à des vers de Rimbaud : « Oisive jeunesse, à tout asservie Par délicatesse, j’ai perdu ma vie. »


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