Danièle, ce fut une longue amitié et un long échange pendant près de quarante ans. De son œuvre considérable, je retiendrai ici son livre « La Passion dans l’amitié » où elle livre le plus son rapport à l’autre, ami ou patient. J’y retrouve nos affinités dont témoigne sa dédicace « pour Jacques cette Passion dans l’amitié qui nous unit Danièle ».

Ce livre caractérise son travail d’analyste et son écriture. Ce qui est frappant c’est sa légéreté dans l’accueil des analysants. Point de jugement, point de théorisation qui viendraient interférer avec la parole du patient. Le fameux « parce que c’était lui, parce que c’était moi » de Montaigne dans sa relation avec La Boétie n’exclut pas, au contraire, des différences mais qui sont reconnues et acceptées. Tel est le sens de son « parce que ».

Danièle le formule autrement :

« En matière d’amitié les relations sont rarement duelles, car elles s’appuient sur des traces oubliées des impressions composites datant de la petite enfance »¹.

On pourrait dire qu’il en est de même dans la relation analytique, au départ il y a cette différence. Même si Danièle ne manque pas d’apporter après-coup dans son écriture ses réflexions théoriques mais aussi littéraires, jamais elles ne se substituent à l’ouverture à l’autre. Pas de confusion entre la pensée de l’un et la pensée de l’autre. Cela rejoint la position de Conrad Stein, qu elle partage, « la seule institution psychanalytique est la séance ». Dans cette espace d énonciation le primat est laissé à la parole de l’autre.

Pour Danièle le lieu de la pensée est le lieu de cette parole où l’on découvre, parfois avec surprise, une pensée au moment même où on la prononce. Je ne sais qu’après le risque de ma parole.

Merci Danièle pour ce long partage que nous avons eu dans l’amitié !

Jacques Sédat

Professeur Émérite de Psychopathologie Clinique à Paris-Diderot, psychanalyste, membre de Schibboleth - Actualité de Freud, née le 6 juillet 1938, Daniele Brun, notre amie chère, nous a quitté brusquement le 3 janvier 2023.

Avec sa force, sa lucidité, son courage, sa dignité, qui la caractérisaient. Quelques heures avant son décès, elle avait dicté à son fils depuis l’hôpital à Barcelone des messages à ses proches - je l’ai reçu à 18h06 -, mots d’affection, qui nous préparaient à la fin. Ce fut un choc bouleversant mais je n’avais pas voulu le comprendre, et lui ai répondu dans l’attente de la retrouver au plus vite.

Aujourd’hui la nouvelle était bien là, c’est une très grande tristesse.

Schibboleth lui rendra hommage en présentant, avec Michele Levy-Soussan, son livre sur la relation de soin, qui paraîtra bientôt, comme nous l’avons fait à chaque fois. Outre nos soirées d’amitié, Danièle a toujours été présente, à tous nos séminaires et colloques, à Paris, à Jerusalem, à Tel Aviv, et encore au dernier « Et le sexuel, aujourd’hui ? ». En décembre, sur-occupée, fatiguée, elle était quand même venue assister au séminaire consacrée aux passions humaines chez Shakespeare. Elle a affronté cette dernière épreuve comme elle a traversé d’autres drames intimes avec une force de vie admirable qu elle nous faisait partager avec pudeur. Déjà enfant cachée pendant la guerre, puis vivant le pire malheur, la mort de sa fille. Professeur Émérite de psychopathologie Clinique à Paris 7, elle ne pontifiait jamais, Psychanalyste reconnue, elle ne dogmatisait pas, restait freudienne avec Lacan, selon le titre de l’un de ses ouvrages, commentait Conrad Stein, par ailleurs, avec ses enfants, l’amour de sa vie, ou Jean-Luc Donnet tout en restant attachée à Pierre Fédida en le discutant.

Elle a fondé et anime la remarquable « Psychanalyse, Medecine et Société » (Conrad Stein en fut son Président d’Honneur), s’appuyant, avec notamment la collaboration précieuse de Michèle Lévy-Soussan, sur l’expérience clinique de chacun. La sienne propre dont son travail en service hospitalier, d’abord en pédiatrie à Saint-Vincent de Paul, puis en hématologie l’Hôtel Dieu et en cancérologie de l’enfant à Gustave Roussy. Sa thèse de 3^e cycle « Enfants guéris du cancer et leur devenir », sous la direction de Juliette Favez-Boutonier, puis sa thèse de Doctorat d’État « Psychopathologie de la guérison, à propos de la guérison chez l’enfant », avec deux ouvrages « L’enfant donné pour mort » et « La maternité et le féminin », en sont le produit.

Ce travail théorico-clinique se retrouvera tout au long de son œuvre, dans « L’énigme du corps et de la guérison », « Mères majuscules », « Guérir aujourd’hui ou comment inscrire la maladie dans la vie », « L’empreinte du corps familial »…

Le récent « La féminité retrouvée » que j’ai eu le plaisir de présenter avec elle, est une respiration particulièrement inspirante dans les débats d’aujourd’hui; « La passion dans l’amitié » et « Une part de soi dans l’autre » constituent des titres qui la représentent bien en chacun d’entre nous.

Danièle va profondément nous manquer. Comme amie chère, comme compagnon de pensée analytique et de travail, ici très fréquemment à Paris, comme régulièrement en Israël.

Je suis particuliièrement heureux qu elle ait accepté de participer avec 12 autres analystes à un livre à paraître bientôt sur nos lieux de l’analyse.

Nos pensées, les miennes et de Sabina, celles de ses amis, dont Ilan Trêves, JeanLouis et Solange Repelski, Viviane et Marcel Chetrit, vont à ses enfants et à ses petits-enfants, Baroukh Dayan ha Emet.

Avec amitié

Michel Gad Wolkowicz

© Association Psychologie Clinique 2023