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Numéro
psychologie clinique
Numéro 49, 2020
Cyberpsychologie et Cyberpsychanalyse
Page(s) 216 - 219
Section Hommage
DOI https://doi.org/10.1051/psyc/202049215
Publié en ligne 23 juin 2020

Il y a des personnes qui ne vieillissent jamais. Jusqu’à la fin. Raymond Cahn était de celles-là.

Il n’est pas étonnant qu’il ait été un des théoriciens les plus remarquables de l’adolescence.

Les ouvrages de Raymond Cahn, élaborés sur plusieurs décennies et à partir d’une riche expérience clinique, vous éclairent sur la manière avec laquelle il conduisait les cures : avec une infinie simplicité dans l’accueil, la parole adressée, la présence, « l’être là » de l’analyste.

En séance, il n’hésitait pas à s’exprimer sans que sa parole ne soit pesante. Un quasi dialogue, une co-réflexion où la part de l’un est difficile à séparer de la part de l’autre. Le patient sort de la séance, enrichi de sa propre pensée... À moins que ce ne soit celle de l’analyste ? Peu importe, c’est une parole qui lui appartient désormais. Une joie discrète s’exprime chaque fois que patient et analyste se rencontrent psychiquement (affectivement ou dans le travail d’élaboration); il était sérieux et attentif, pénétré d’une sympathie profonde lorsque l’analysant traverse les affres de la remémoration ou quand il est secoué par la puissance pulsionnelle du transfert.

D’aucuns penseront sans doute que pour un psychanalyste, cela va de soi. Tout analyste selon son style, questionne, relève ce qui est signifiant dans la séance, renvoie la parole du patient, se tait, s’arrange avec tact et tempo pour faire avancer la cure.

Mais Raymond Cahn avait quelque chose qui lui était propre : il était à l’écoute du vivant en vous, et vous pouviez sentir, alors même qu’il était très âgé, battre le vivant en lui.

Il est inutile de préciser ici la pensée psychanalytique de Raymond Cahn, il suffit de relire ses ouvrages pour en apprécier la richesse théorico-clinique et la diversité des références. Cependant, à la lumière de mon expérience avec lui et de ma propre pratique psychanalytique,

il me semble que quelques éléments méritent d’être soulignés.

Raymond Cahn pose comme préalable à l’écoute du patient, l’existence d’une instance organisatrice qu’il nomme « fonction sujet ». Elle serait dans l’être, la part fondamentale, propre au sujet, d’un Soi éprouvant-pensant, et elle est là dès les premiers temps de vie avant toute relation objectale. C’est une instance dynamique, indissociable du narcissisme et des premiers éléments de symbolisation – avec toutefois une prédominante narcissique –, qui à la fois éprouve et assure l’accès à la représentation. Elle est dite subjectalisante dans la mesure où c’est elle qui assure le travail de différenciation1 avec l’objet primaire.

C’est à cette fonction sujet que Raymond Cahn s’adresse pendant la cure, concept clé de sa pensée, référent théorique à partir duquel il travaille. Elle ne recouvre ni l’inconscient freudien ni le sujet de l’inconscient lacanien : « ce concept qui bien que structurellement d’essence narcissique, s’en démarque néanmoins parce qu’il implique et transcende par rapport à celui-ci : celui de sujet. Un pré-sujet certes, ou plutôt un sujet émergent de l’indistinction primitive avant la relation d’objet (...). Une subjectalité qu’on réfèrera faute de mieux, au soi dans son vécu de permanence, de continuité, et impliquant les prémices d’une différenciation porteuse d’autonomie et comportant l’introjection. »2 La fonction de l’analyste s’en trouve ainsi orientée :

  • En misant sur cette fonction sujet, le patient voit d’emblée ses capacités créatives et de guérison sollicitées; l’écoute attentive et la considération dont témoigne Raymond Cahn sont la promesse d’un devenir. Ils mobilisent aussi la responsabilité de l’analysant vis-à-vis de sa cure.

  • En assumant le rôle de l’Autre pris dans la défaillance de l’environnement, le travail de l’analyste consiste moins à écouter le contenu de ce qui se dit dans la cure que d’éprouver-penser le transfert et être à l’écoute de ses propres mouvements contretransférentiels : « En ces temps antérieurs à toute possibilité de remémoration, de symbolisation, – ces perturbations – ne peuvent guère être ressuscitées, répétées qu’au niveau du cadre et dans les espaces les plus obscurs les plus archaïques de la relation transféro-contretransférentielle, une intersubjectivité en deçà de ce qui se joue dans l’intrapsychique qu’il soit conscient ou non.3 (...) Ce temps de la subjectalisation est la condition d’opérativité du processus analytique et de l’interprétation »4.

Un espace psychique commun pour un co-éprouvé entre patient et analyste, et un co-pensé de deux psychés pour une seule élaboration.

Le travail de l’analyste consiste à un « être-là » corporel et psychique, à la fois engagé, délicat et solide, afin de favoriser les identifications constituantes du Je, et amortir les modalités des transferts spécifiques : projections, ambivalence, violences pulsionnelles, dépression... au moins dans les premiers temps de la cure.

Le travail de subjectalisation est pour Cahn une condition primitive et simultanée à l’interprétation, sans quoi le processus de subjectivation ne peut se faire.

« Holding subjectalisant et interprétation de la relation objectale non seulement ne constituent pas nécessairement deux temps différents de la cure, mais surtout donnent lieu à des dosages exigeant un ajustement constant d’un moment à l’autre de la cure, ou même de la séance (...), l’analyste est amené à choisir entre sa fonction subjectalisante et celle subjectivante ».5

Il y a 20 ans, Raymond Cahn publiait un ouvrage au titre provocateur « La fin du divan ? ».

Il n’eut pas l’accueil mérité, peut-être à cause du titre, perçu comme une menace pour l’identité de la psychanalyse, voire qui fragilise son existence même.

Une interrogation audacieuse que Raymond Cahn adressait à ses pairs, sur la pertinence du divan au regard des nouvelles subjectivités. L’évocation d’une anecdote me paraît en souligner l’enjeu. Après quelques années de pratique, souhaitant faire reconnaître mon parcours d’analyste praticien au sein de mon association, j’eus mon premier entretien avec un analyste-membre. La première question qui m’a été posée fut : « Vous allongez ? ».

Cette question, dans son équivocité même, constitue sans doute un raccourci de langage. Elle charrie néanmoins l’idée selon laquelle sans divan, pas d’analyste. Ni de psychanalyse.

Porté par une solide conviction en sa théorie de l’inconscient, Freud n’a jamais craint de se contredire, d’avouer s’être trompé, d’expérimenter des éléments nouveaux – parfois hasardeux – et d’en abandonner d’autres. Il ne reculait pas devant le risque d’ébranler l’édifice de pensée et de pratiques qu’il avait lui-même construit; ces remises en cause constitueront les moments les plus féconds de son invention. Par exemple, lorsqu’il décida d’allonger les patients... parce qu’il était fatigué d’être regardé par eux.

Témoignant de sa liberté de penser sans tabou, et « En dehors des sentiers battus », titre du dernier ouvrage de Raymond Cahn sorti à titre posthume, celui-ci s’interroge sur la pertinence du divan pour de très nombreux patients. Prenant en compte les profondes transformations de notre société, il interpelle ses pairs sur leurs pratiques cliniques et sur un point théorique : peut-on qualifier de psychanalyse les cures de patients qui ne « s’allongeront » jamais ? Peut-on penser une clinique sans divan, sans pour autant « chuter » imaginairement, ni faire perdre à la psychanalyse (et au psychanalyste ?) sa place d’exception dans l’abord de la souffrance humaine ? Trahit-on l’invention freudienne en remettant en cause le dispositif du divan ou au contraire, revient-on à l’essence de la démarche freudienne, celle de remettre en cause certains éléments théoriques distinctifs, afin d’en renouveler l’esprit ?

À partir de sa pratique clinique, Raymond Cahn démontre la fécondité d’une cure analytique en face à face, dispositif qui remet en jeu les premières modalités de la construction subjective du patient : « la capacité du patient de s’investir, se voir, s’entendre, se sentir n’est-elle pas d’abord et avant tout, liée à la manière dont il a été investi, vu, entendu, senti par l’autre ? (...) Ce sont les capacités de subjectivation et de subjectalisation du patient qui président d’une part au choix du cadre –divan, fauteuil –, d’autre part confèrent désormais au contre-transfert de l’analyste un rôle central »6.

Raymond Cahn, était un esprit libre, avec une rare ouverture à l’autre. Il était surtout d’une très grande générosité avec ses patients.


2

Raymond Cahn, Hors des sentiers battus, Campagne Première, Paris, 2020, p. 68.

3

Raymond Cahn, La fin du divan ?, Odile Jacob, Paris, Septembre 2002, p. 169.

4

Raymond Cahn, op. cit., p. 75.

5

Raymond Cahn, op. cit., p. 77.

6

Raymond Cahn, La fin du divan ?, Odile Jacob, Paris, Septembre 2002, p. 179.

7

Raymond Cahn, Hors des sentiers battus, Campagne Première, Paris, 2020, p. 76.


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