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psychologie clinique
Numéro 58, 2024
La clinique de l’enfant : du diagnostic à la psychothérapie
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Page(s) | 5 - 10 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/psyc/202458005 | |
Publié en ligne | 24 décembre 2024 |
Présentation : La clinique de l’enfant : du diagnostic à la psychothérapie
Psychologue clinicienne, Service de Pédiatrie C.H.U. de Pontoise, Psychanalyste, Chargée d’enseignement en psychologie clinique et psychopathologie à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre du comité de rédaction Psychologie Clinique
Ce numéro réunit différentes réflexions sur la prise en charge de l’enfant. Chacun des textes apporte un éclairage sur la pratique du professionnel dans les différents champs de la pédopsychiatrie, de la psychanalyse et de la fonction juridique.
L’objectif de cet ouvrage est de rendre compte du travail thérapeutique avec l’enfant, mais aussi d’aborder les questions complexes auxquelles sont confrontés les thérapeutes, telles que l’interprétation des réactions transférentielles de l’enfant ou la résistance de certains troubles somatiques.
Comprendre la signification d’un symptôme n’est pas simple du tout, même avec des connaissances psychopathologiques solides. Tout soignant ayant essayé de comprendre le malaise d’un enfant est passé par là. Un symptôme peut être facile à diagnostiquer, mais difficile à soigner. Les pédiatres et les psychanalystes aguerris le savent bien. Les interrogations fondamentales de l’enfant ne se trouvent pas dans les livres, ni dans son dossier médical. C’est la pratique clinique qui rend lisibles les notions de symptôme et d’inconscient.
Il va sans dire que l’exercice naît de la rencontre avec l’enfant, mais l’apport des praticiens et des intervenants ayant une longue expérience de terrain joue aussi un rôle formateur important. C’est pourquoi nous souhaitons leur donner la parole. Les travaux ici rassemblés font état d’actes cliniques qui en disent autant sur le ton personnel des auteurs que sur la psychanalyse elle-même. Chacun d’eux permet d’entendre une manière de s’adresser à l’enfant et de décoder sa souffrance.
Tel est l’esprit de cet ouvrage dont l’éthique essentielle est celle de la transmission. Comment le récit clinique explique-t-il la théorie ? Comment le langage corporel de l’enfant peut-il rendre son symptôme parlant ? Comment adapter la technique analytique du « tout dire » à la cure avec l’enfant ? Comment le recueil de la parole de l’enfant par son juge permet à celui-ci de prendre certaines décisions ?
Il n’en ressort aucune révélation magique, mais une manière d’observer l’enfant pour comprendre ce qu’il veut dire. Dans les différents cadres où l’écoute de l’enfant est fondamentale, il n’y a pas que sa parole qui soit en jeu. Ses conduites permettent aussi d’en apprécier le contenu. Elles font aussi entendre des questions sur les souffrances non dites ou sur des problèmes existentiels en attente d’explications.
L’enfant ne raconte pas toujours sa souffrance avec des mots. En revanche, sa manière de se servir des mots du langage, et surtout d’y réagir, est un témoignage direct de ce qui lui pose problème dans la communication. Son expression corporelle traduit le sens subjectif qu’il a tiré du langage, mais aussi une cause intime, comme son symptôme d’ailleurs. Même si celui-ci évoque quelque chose qui ne fonctionne pas, il est l’expression active de ce que l’enfant éprouve et des questions qu’il se pose. Comme l’explique le Dr. Nasio, le développement de l’enfant ne suit pas une ligne uniforme, mais admet des moments de régression. Grandir implique de traverser des crises de croissance. Chacune d’elles, marquée par une épreuve de renoncement, permet à l’enfant de gagner une nouvelle autonomie et de conserver des bases essentielles du lien qui l’a introduit à la communication. Cependant, cet édifice psychique qui se construit est parfois ébranlé par une souffrance que la régression ne permet pas de dépasser. Un travail de mise en paroles est alors nécessaire. C’est lors de la rencontre de l’enfant avec son analyste, que les mots vrais posés sur sa souffrance lui permettent à son tour d’en révéler le motif intime. L’auteur nous invite à entrer dans sa consultation et, à travers le cas d’un enfant souffrant d’insomnies, déroule avec une grande clarté les étapes du dialogue lui permettant de se mettre dans la peau de cet enfant, de s’identifier à son vécu masochiste et de le mettre en mots. Comme l’illustre ce récit introductif, les troubles envahissants du sommeil ou du comportement, sont souvent en première ligne. L’enfance est l’époque où les questions latentes s’insèrent facilement dans les conduites. Parfois, cependant, les conduites de l’enfant prennent complètement la place du langage. Seul son corps manifeste ce qu’il a à dire. L’expression de soi reste hors du langage parlé, donc à moindre risque, mais cela peut masquer une souffrance qui mérite la plus grande attention. Chez l’enfant qui reste seul avec ses éprouvés, l’acte est à entendre, selon Elie Pouillaude, comme « un discours qui n’aurait pas le luxe des mots », et il s’agit de le réinsérer dans le langage. Si l’acte est pris dans le transfert, il est adressé et prend la valeur d’un discours. Il relève d’un acting out, un procédé servant à dire quelque chose de soi. Si au contraire, l’acte n’est pas interprété, il peut laisser place à un passage à l’acte, c’est-à-dire à une décharge pulsionnelle qui ne signifie rien. Dans ces situations où les éprouvés ne sont pas symbolisés, il est vain de centrer le dialogue avec l’enfant sur ce qui le fait souffrir. Il n’en sait rien. Il doit être aidé à verbaliser ce qu’il fait voir (Irit Abramson). C’est en cela que réside le travail d’analyse avec l’enfant : dialoguer avec lui en tenant toujours compte de ses réactions quand on lui parle. Sa manière de réagir au langage incarne ce qu’il tait, mais aussi des questions non élucidées. L’analyste, lui aussi, questionne. Chacun avance dans l’attente d’une explication, ce qui les oblige à se référer à un langage partageable, verbal ou figuratif. L’un et l’autre, pour se comprendre, donnent aux éléments inconscients du transfert une forme représentative. Comme le dit F. Dolto, le transfert en lui-même ne sert à rien.1 C’est son utilisation qui lui donne ou non un pouvoir thérapeutique. S’intéresser aux attitudes qui semblent surgir à l’improviste ou aux fragments de paroles que l’on ne comprend pas, c’est montrer à l’enfant qu’en parlant avec lui, on ne joue pas la comédie. On ne voit pas à travers lui non plus. Si lui-même est en mesure de montrer quelque chose de partageable, cela veut dire qu’il se sert d’indices symboliques pour donner accès à sa pensée. D’où l’importance pour l’analyste d’être attentif à ses propres interrogations, quitte à se défaire de leur écho théorique, y compris en ce qui concerne la technique psychanalytique appliquée à l’enfant.
Patrick Avrane le souligne très justement. L’analyste doit faire preuve de tact. S’il applique la règle de « tout dire », sans respecter le temps nécessaire à l’élaboration des questions de l’enfant ou du récit des parents, la parole n’a pas d’effet thérapeutique. Au contraire, elle devient une révélation traumatique. Il est important de dire la vérité à l’enfant, mais non de manière sauvage. Le moment où l’analyste « sent » qu’il peut dire est celui où la relation transférentielle de l’enfant s’y prête. La disposition à la révélation ne se commande pas. L’interrogation de l’enfant sur les circonstances de son adoption ou sur des faits graves survenus à l’époque de sa naissance se construit par strates fantasmatiques mêlant la prise de conscience de la vérité au roman familial.
Il ne sert à rien non plus d’interroger l’enfant de façon directe sur les drames réels ou affectifs qu’il a vécu, en particulier si l’émotion envahissante qui s’y rattache s’est figée en une plainte fonctionnelle.
Lui seul peut témoigner de son vécu, non pas à la façon d’une restitution exacte, mais selon ce qu’il en a compris et gardé en mémoire. Certains souvenirs se retrouvent fractionnés, réduits à une image marquante, tandis que d’autres se rattachent à une image acoustique, une « poche psychique » dit Harry Ifergan, pour décrire le surgissement des fantasmes morbides d’un enfant dans la seule sonorité de son bégaiement.
L’enfant se sert du langage pour y projeter ce qu’il vit. Et il n’a aucun mal à suivre le cours de ses représentations inconscientes. C’est cela la soudaine difficulté d’énonciation. Les mots d’où émerge le sens des choses à comprendre véhiculent des indices phonétiques qui se rattachent sans limitation aux questions non élucidées. Contrairement à l’adulte qui peut établir une limite hiérarchique entre sa pensée consciente et l’irruption parasite d’impressions ou d’idées associées, le jeune enfant ne sait pas encore s’en dégager. Son attention est encore guidée par les éprouvés du moment. C’est ainsi que sa pensée se construit, par associations et recoupements. Il peut ainsi facilement associer le son d’un mot inconnu et une situation passée.
Nul ne sait l’époque où les mots rattachés au vécu de l’enfant se fixent dans la chaine de ses souvenirs. Mais la cause intime d’une souffrance revient toujours à travers un quelconque élément de la phonation ou de l’attitude, c’est-à-dire par un signifiant référé à quelque chose d’insaisissable.
Ce que l’enfant perçoit de perturbant sans le comprendre peut s’insérer dans son parlé sous la forme de mots fabriqués ou d’expressions indécodables. Chez l’enfant psychotique habité de paroles qui ne parlent pas de lui-même, le langage en est saturé. On n’y entend pas la drôlerie parlante des mots que le jeune enfant invente pour traduire sa pensée, mais un drame. L’enfant reproduit la solitude qu’il éprouve dans le langage. Il fait entendre ce que l’adulte ne voit pas, un souvenir dérangeant, une image menaçante ou bien une lallation auto-érotique. Dominique Maheu décrit le travail d’écoute de l’enfant psychotique dont les paroles énigmatiques sont prises dans un flux pulsionnel peu ou mal articulé à la fonction symbolique. L’enfant exprime ce qui le trouble, oui, mais à partir de ce qui sonne pareillement à l’oreille, comme s’il ne pouvait partager ses réminiscences. Or, comme le pointe l’auteur, chez l’enfant allophone2, il est difficile de savoir s’il s’accroche à certains phonèmes pour se repasser des souvenirs ou par défaut d’intériorisation de la langue maternelle. La seule boussole de l’analyste est la surdétermination du symptôme, c’est-à-dire la répétition, celle des signifiants qui sortent de la bouche de l’enfant et qu’il répète à son tour pour les faire entrer dans une langue commune.
Cette disponibilité de l’analyste n’est pas sans émotions, ni limites, mais elle indique à l’enfant que ce qu’il fait entendre veut dire quelque chose. C’est à cette condition qu’il peut se mettre à parler. Lorsque ses conduites rencontrent une résonnance verbale, il peut laisser ses souvenirs faire irruption dans son parlé et peu à peu reprendre une place légitime dans le langage. Tout dépend des moments d’échange où l’analyste peut capter de sa souffrance. Il est difficile d’avoir un accès direct aux représentations inconscientes de l’enfant. Lui seul peut témoigner de ce qu’il éprouve, par la parole, ou à défaut, par son attitude. C’est d’ailleurs souvent à l’instant où le comportement de l’enfant nous oblige à mieux regarder que nous rentrons en contact avec lui. On se demande : « Mais qu’est-ce que cela veut dire ? » Si le récit de ses parents apporte des éléments importants de compréhension, l’analyste est tout aussi attentif aux représentations que le récit verbal ou moteur de enfant suscite en lui. La véritable écoute passe par l’inconscient en soi, ce miroir archaïque de la présence active de l’autre.
Catherine Matha évoque ces mouvements transférentiels de l’analyste, lequel, tout en étant à l’écoute de l’enfant, accepte la possibilité d’être affecté, ébranlé et traversé par les identifications qui circulent entre les différents membres de la famille, une dynamique familiale inconsciente qui rend lisible la réalité psychique des parents, le mode de relation qui en découle avec l’enfant et les fantasmes dont il est destinataire. Le travail analytique avec l’enfant, souligne l’auteur, implique de prendre en compte la place qui lui est inconsciemment assignée dans le langage de ses parents et à laquelle il s’identifie. Le tableau clinique présenté par l’auteure en témoigne. Les mouvements transférentiels de l’analyste lui permettent de confronter un événement resté sans paroles et un symptôme jusque là confondus : derrière le trouble sévère du sommeil d’un enfant, se révèle un fantasme d’enfant mort.
L’attention de l’analyste à ce qui se joue hors de la parole lui permet d’entendre l’angoisse parentale, mais aussi d’interroger l’enfant sur ses sentiments, ce qui a un portée essentielle : son état d’alerte fonctionnel pour se transformer en conduites parlantes. Cela tient à l’écoute consciente de l’analyste, mais aussi à sa sensibilité aux expressions non verbales de l’enfant. Et cette sensibilité est d’autant plus engagée, appelée lorsque l’enfant vit le contact avec l’analyste comme une effraction corporelle. Quel effet la parole peut-elle avoir sur lui lorsqu’il s’enferme dans le mouvement répétitif d’objets qui tournent ? Comment le langage peut-il le sortir de cet abri sensoriel ?
Dominique Mazéas décrit la qualité de l’inquiétude du clinicien – ni trop angoissé, ni trop à distance – pour traduire les ressentis informes de l’enfant, dans les différents registres du sensoriel, de l’imagé et du verbal par lesquels passe, de manière fugace, une attente essentielle de contact. Le travail thérapeutique avec des enfants souffrant de troubles autistiques nécessite une disponibilité particulière au transfert archaïque. L’auteure décrit ces transferts, auxquels la détresse et les identifications à l’analyste donnent une tonalité changeante, faite d’agrippements répétitifs et de vécus corporels d’encombrements. Pour autant, chaque réaction reproduite par l’enfant est une réminiscence qui apporte autant de sensations vertigineuses que de sensations d’appui sur le langage qui les accueille.
Face à l’angoisse traumatique ou à l’isolement d’un enfant, il n’y a pas de meilleur outil de compréhension que le langage. Cela est vrai si l’expression de l’enfant est entendue pour ce qu’elle veut vraiment dire. Il en est ainsi des troubles graves du développement, mais aussi des conduites névrotiques accaparantes, délinquantes ou désorganisées faute de repères dans la réalité. Comme on le voit lors de la première consultation, il ne suffit pas de donner la parole à un enfant pour lui donner envie de communiquer. Il a besoin d’entendre avant tout que sa parole est respectée. C’est à cette condition qu’il peut livrer sa vérité, que ce soit dans le cadre thérapeutique, éducatif, mais aussi judiciaire.
Le juge des enfants est le premier concerné par la prudence de l’enfant à l’égard de celui qui l’écoute. L’interroger sur son vécu ou sur ses intentions sans prendre en considération ses ressentis peut s’avérer contraire à ses intérêts. Si l’enfant ne peut raconter ses peurs ou dire ce qu’il sait, c’est son identification aux paroles de ses parents ou à leur état émotionnel qui lui sert de témoignage. D’où l’importance d’instaurer d’emblée son droit à la parole. Le juge n’a pas le pouvoir de deviner, pas plus que celui de transformer les parents ou de trouver une solution idéale aux violences familiales. Il lui appartient de recueillir et d’interpréter les propos de l’enfant, ses gestes et parfois même son silence. Engager le dessin, le jeu ou l’objet poupée comme support de la parole facilite l’échange, dit C. Rinaldis, mais plus encore. C’est engager l’imaginaire, lequel ne sert pas seulement à reconstruire la réalité. Il permet de décrire un événement vécu. Et parfois, cet événement est un danger.
Comme l’explique A. Barreira, le jeu symbolique de l’enfant a des similitudes avec le rêve. Si l’on y trouve des contenus manifestes se rattachant à des désirs latents en cours d’élaboration, il est des contenus ayant des éléments de figuralibilité équivalents de cauchemars.
L’enfant confronté à un danger réel ne joue pas à fantasmer la réalité. Il la met en scène. C’est là toute la différence entre l’investigation du fonctionnement psychique infantile et l’investigation du savoir de l’enfant. Même si, au fond, la construction du moi et la réalité vécue sont indivisibles, il s’agit de comprendre à qui l’enfant se réfère quand il parle et de quoi il parle. Une fois ces deux aspects du développement isolés – l’identification et le rapport à l’objet – la souffrance de l’enfant est plus lisible.
Comme en témoignent les problématiques abordées dans cet ouvrage, l’écoute thérapeutique, comme l’écoute préventive, reposent sur ce que l’enfant dit de luimême dans ses paroles et dans ses conduites. Le niveau de gravité des troubles et le cadre diffèrent, mais il est toujours question du transfert de l’enfant, de l’interprétation et de la manière dont l’inconscient s’en mêle. Le lecteur retiendra ce qui lui est utile. Ses interrogations ou ses critiques pourront aussi, par effet de synthèse, ouvrir de nouvelles pistes. Quand on écoute autrement ce que dit l’enfant, on se met à le questionner différemment. Cela est vrai, indépendamment de l’âge du clinicien, mais essentiel pour les analystes débutants qui construisent leur écoute. Une fois sur le terrain, leur désir de guérir se dispute celui de comprendre, ce à quoi les manuels théoriques ne peuvent pas répondre entièrement. Le véritable travail d’explication repose sur le témoignage d’expériences.
© Association Psychologie Clinique 2024
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